Bulletin de la Société de Géographie

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LA DÉPORTATION DES DÉPUTÉS

ils étaient l'âme, ne put pas avoir son exécution ( 1 ) . Ce contretemps fut d'autant plus malheureux, que tout porte à croire que ce plan aurait eu un entier succès : l'inquiétude qui tourmentait les conspirateurs jusqu'au moment où ils apprirent l'arrestation de ces deux redoutables ennemis le prouvait a s s e z ; et, en (1) Beaucoup de personnes ont pensé que nous aurions dû attaquer les premiers, et de v i v e force, le Directoire. Cette opinion prouve que l'on ne s'était pas rendu un compte bien exact de nos intentions, et surtout de notre situation politique. Quelque désir que nous eussions de relever le plus promptement possible le trône légitime, nous étions convaincus que les moyens doux, quoique plus lents, étaient les plus convenables et les plus sûrs : on les aurait infailliblement trouvés dans l'opinion qui se monarchisait chaque jour davantage, dans nos actes législatifs qui se seraient constamment dirigés vers ce but, dans les fautes des gouvernants, et enfin dans les vices mêmes de la Constitution. Une agression à force ouverte donnait, au contraire, des prétextes à la calomnie, allumait peut-être une guerre civile désastreuse pour tous les partis, et uniquement favorable à quelque ambitieux qui aurait réclamé l'autorité pour prix de la paix à laquelle tout le monde aurait aspiré : elle pouvait avancer de deux ans le 18 brumaire. Enfin si cette agression n'avait pas des résultats aussi funestes, elle pouvait au moins échouer : alors elle déconsidérait la cause r o y a l e ; nous ne devenions plus que des fous mus par l'ambition, et le Corps législatif se portait lui-même notre accusateur, et nous traitait en véritables conspirateurs. Des amis sincères du Roi et de leur pays devaient-ils soumettre des intérêts si chers à des chances si hasardeuses ? On tomberait dans une grande erreur si l'on excipait du succès de Buonaparte au 18 brumaire, pour justifier la présomption que nous aurions également réussi au 18 fructidor. La situation de Buonaparte à cette époque était aussi favorable que la nôtre était critique. Il avait pour allié tout ce que nous comptions pour ennemis : ses principaux points d'appui étaient dans le Directoire, dans les Conseils et dans l'armée, contre lesquels nous avions au contraire à lutter; enfin on lui avait d'avance aplani toutes les voies qui ne se présentaient à nous que hérissées d'obstacles. Nous ne pouvions les surmonter qu'en prenant le Directoire en flagrant délit, et c'est à quoi durent tendre toutes nos combinaisons dès que nous eûmes perdu l'espérance de voir déployer contre lui les grandes mesures constitutionnelles et législatives.


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