Les colonies et la politique coloniale de la France

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LA GUYANE.

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gnité de leurs agents, l'âpreté cupide de leurs trafics. L'État, plus généreux de sa nature, comprit à contre-sens sa libéralité. Il accorda de vastes concessions, mais sans limites précises et à titre seulement provisoire. Il ouvrit des magasins où chacun put, sur la foi d'engagements illusoires et à peu près au gré de ses besoins, emprunter des bestiaux, des semences, des outils, des nègres, même de l'argent ; c'était un encouragement aveugle à l'inertie et à la dissipation bien plus qu'un secours à la bonne volonté. Une dévote sollicitude écarta les hérétiques et les Juifs, qui enrichirent Surinam de leur intelligence et de leurs capitaux. Ministres, gouverneurs et intendants manquèrent de tout plan suivi, que l'instabilité des fonctionnaires eût d'ailleurs annulé. Au détriment des autres grands services publics, la défense militaire, en un pays où elle était presque superflue, fut seule organisée avec un luxe de personnel et de matériel qui absorba la meilleure part des subventions de l'Etal. La ville de Cayenne, qui en un climat chaud avait tant besoin d'air et d'espace, fut enserrée dans une ceinture de murs et de bastions, de tours et de fossés, qui lui causa plus de mal que n'eussent jamais fait des boulets ennemis, et ne l'empêcha point de tomber, sous l'empire, aux mains des Portugais. En un mot, les colons de la Guyane ne furent ni livrés à euxmêmes, ce qui eût excité l'esprit d'expédient inné dans la race française, ni appuyés par le gouvernement local ou métropolitain. Ils furent tenus en tutelle sans tuteur : la pire des conditions, parce qu'elle n'impose de responsabilité et n'accorde d'initiative à personne. Lorsque le duc de Choiseul, ministre sous Louis X V , honteux d'avoir fait perdre à la France le Canada et la Louisiane par le traité de Paris, jeta les yeux sur la Guyane pour y prendre une honorable revanche, il commença par en partager la propriété entre les deux branches de sa famille à titre de fief héréditaire; puis il expédia sur les rives désertes et isolées du Kourou douze ou quinze mille malheureux, divisés en seigneurs, vassaux et


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