Les jésuites à Cayenne

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CHAPITRE PREMIER

L'ÉPIDÉMIE

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lèvres pour dire oui lorsque je lui propose de baiser le crucifix. « Pauvre jeune h o m m e ! il a l'air si doux et il est si malheureux ! « J'ai la réponse à ma d e m a n d e ; elle est négative. Je vais donc encore entendre des cris de douleur qui me déchirent l'âme. Si le devoir et l'obéissance ne me retenaient ici, je ne pourrais jamais tenir devant un tel spectacle. Mais je suis assuré de faire la volonté de Dieu en souffrant dans ce bagne, et j'ai l'espoir de sauver quelques âmes ; je resterai donc, s'il le faut, jusqu'au dernier soupir. « Avant-hier j'étais dans ma chambre, disposé, comme à toute heure, à donner audience à mes pauvres gens. J'entends dans la galerie le bruit d'un homme se traînant avec peine et respirant avec effort. C'était un forçat, un enfant de l'Auvergne, âgé de vingt-cinq ans. « Mon Père, me dit-il, j'ai la fièvre, voyez comme je tremble. J'ai eu bien de la peine à me traîner jusqu'ici; mais je voulais me confesser. » Après la confession, il dit avec un vif accent, de reconnaissance: « Q u e je suis donc heureux d'être venu vers vous ! Je donnerais tout pour la joie que je ressens. » La mission perdait par la m o r t du P . Alet un sujet d'un talent distingué, d'une très grande vertu et surtout d'un zèle et d'une générosité sans bornes. On lira avec plaisir le portrait qu'en a tracé M. Jusselain : « Le P . Alet, dit-il, était moins éloquent que le P . Raulin. Sa foi avait moins de feu extérieur qui distingue les vrais apôtres. Je savais cependant que le zèle travaillait son âme, et qu'il avait un ardent désir de catéchiser les Indiens épars entre l'Oyapock et les Amazones. 1

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Un déporté

à Cayenne,

p. 307.


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