Les bagnes : Histoire, Types, Mœurs, Mystères

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LES

BAGNES.

espèce de corne plus épaisse que celle des chevaux : « On aurait pu nous ferrer sans douleur, » dit-il. L'énergie avec laquelle Dumont

supportait les mauvais traitements l'avaient fait presque

respecter de ses gardes. « Je chantais presque toujours quand j'étais rossé, ce qui m'épargnait une bonne moitié de la correction journalière. Celui-là est de fer, disaient mes gardiens, il est i n u tile de le toucher. » Un prince de Maroc étant venu à la montagne, Dumont se chargea de lui demander une gratification au nom de ses camarades. Le prince voulut, par l'appât des richesses, l'engager a changer do religion : « Non, répondit l'esclave français, je veux mourir dans ma religion : celui qui renie sa loi n'en connaît aucune. —Il

a raison , » dit à haute voix le musulman; puis il tira cent

sequins (mille francs) de sa poche. Dumont s'empressa de partager la somme entière avec ses compagnons, ne se réservant que cinq sequins pour lui et pour son camarade de chaîne. Le Kaïl,

un de

leurs gardiens, voulut, à force de tourments, lui extorquer cette s o m m e ; en vain pendant toute une année il l'accabla de coups, sans l'épargner un seul j o u r , Dumont perdit toutes ses forces et résolut de m o u r i r ; mais bientôt des accès de rage lui rendirent son énergie, et d'un coup de pierre il creva l'œil à son bourreau. Conduit devant le maître, il n'échappa à la mort qu'en prêtant au Kaïl un blasphème contre Mahomet; il fut seulement condamné à la falaque, supplice qui consiste à avoir la main brisée à coups de bâton; pour le Kaïl, il fut pendu à un arbre. Ramené à pied vers le bagne, Dumont fut occupé pendant un an à tourner avec la main droite une meule a repasser les outils; quant à sa main gauche qui avait été si cruellement maltraitée, la guérison s'opéra. Dumont était depuis trente-trois ans dans les forts des Koubals, lorsqu'une guerre s'alluma entre eux et le bey de Titeri vers le mois de septembre 1 8 1 5 . Alors Dumont trouva moyen de s'échapper avec 3 0 0 de ses compagnons. Ils furent conduits à Alger, où leur captivité fut assez douce. « J e me croyais, dit-il, dans le pays de C h a naan. » Enfin au mois d'août 1 8 1 6 , lord Exmouth, après avoir bombardé

Alger , fit tomber les fers d'un grand

nombre

de

chrétiens. Lorsque Dumont apprit sur les vaisseaux anglais les événements de la révolution

française ,

il crut d'abord

qu'on


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