Les bagnes : Histoire, Types, Mœurs, Mystères

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JOURNAL MANUSCRIT DE M. RAYNAUD.

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Quand le forçat manque d'objets qui puissent servir de gage au prêteur, il obtient quelquefois de l'argent sur parole, quand il est reconnu bon, ou qu'il offre une caution. Par exemple, à Rochefort, un capitaine, pour donner quelques pièces de monnaie, exigeait la garantie verbale du forçai Collet; il suffisait que celui-ci dît : Je réponds, pour que l'emprunteur recût le montant du prêt qu'il sollicitait. Les engagements pris entre condamnés étaient observés avec une scrupuleuse exactitude; chacun, comprenant que le crédit ne pouvait être fondé que par l'exactitude dans les paiements, devenait protecteur de la créance et soutenait le prêteur. Un écrivain assure que dans un cas, celui de l'évasion, un galérien était affranchi de ses dettes. « C'est, dit-il, une loi dans les « bagnes de ne plus réclamer aux forçats qui s'évadent et qui sont « repris, ce qu'ils devaient avant de rompre leurs f e r s ; la raison « en est toute simple : le forçat, repris hors des murs, fait trois « ans de double chaîne ; de plus, il rentre presque toujours sans « un s o u ; comment se faire payer a l o r s ? . . . Impossible.

L'on

« conçoit qu'il vaut mieux le passer à la lessive; du reste, c'est « une ressource commune : après lui peut venir le tour de son « c a m a r a d e ; s'il s'évade, tant m i e u x ; s'il est repris, il aura la « double chaîne ou le bout de corde, — mais point de vengeance « à craindre de la part des forçats; — c ' e s t là le principal. » 11 résulte de cet usage, que le condamné chargé de dettes et qui se trouve chaque jour en butte aux réclamations pressantes de ses camarades, prend souvent contre son gré la résolution de briser ses fers, au risque d'être repris et de faire trois années de double chaîne. M. Sers prétend que, dans le port de Rochefort, cette loi admise par les forçats provoque de nombreuses évasions. Les forçats usuriers, qu'on désigna longtemps sous le nom de forçats capitaines,

trouvèrent des entraves au développement de

leur industrie sous l'administration de M. Raynaud. Les hommes avaient établi des petites banques secrètes. Les usuriers devenaient, moyennant une avance de quelques francs, propriétaires du salaire à venir de leur débiteur, ils achetaient le vin, le pain de ceux qui n'avaient pas d'autre hypothèque à offrir.


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