JOURNAL MANUSCRIT DE M. RAYNAUD.
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notes de M. Raynaud, la lenteur qu'on a toujours apportée dans les améliorations matérielles ou morales des chiourmes. Sous le commissariat de l'auteur du j o u r n a l , l'eau douce, pour la boisson des condamnés,
était apportée de la ville dans de
grandes j a r r e s , et séjournait aussi longtemps que possible : souvent elle s'altérait au point de ne plus être potable. Depuis longtemps on demandait que les fontaines de la ville alimentassent un réservoir dans le b a g n e ; M. Raynaud soutenait de toute sa force cette réclamation, et il proposait d'amener l'eau par un conduit sous-marin traversant les bassins du port. L'administration supérieure rejeta la demande, prétextant l'impossibilité d'exécution du projet; mais le commissaire, revenant fréquemment à la charge, on acquiesça à son désir, à la condition qu'il courrait tous les risques pécuniaires de non-réussite; M. Raynaud accepta, et q u e l ques mois après les condamnés avaient de l'eau fraîche en abondance. Les
forçats constatèrent
par
une inscription
cette
nouvelle
preuve de sollicitude que M. le commissaire des chiourmes leur donnait. Dans l'esquisse que M. Raynaud a tracée des grands coupables qu'il a eus sous sa surveillance, on trouve parfois des contrastes saillants dans une même nature; souvent il lui est arrivé de vaincre des caractères indomptables par un acte de bonté ou une preuve de confiance
Il cite plusieurs traits qui font supposer
que, dans les circonstances difficiles où il s'est trouvé, il a dû son salut a un sentiment de reconnaissance. Un fait, qu'il rapporte, montre la bizarre alliance du crime et de la noblesse des sentiments qu'on peut rencontrer dans la classe qui habite le bagne. Une vieille femme dont le costume annonçait la pauvreté, se présenta un j o u r au bureau de M. Raynaud; c'était la mère d'un forçat qui depuis de longues années était au bagne; cette femme, 1
Victor Desbois, qu'on ne pouvait tenir au bagne de Brest qu'avec des doubles chaînes,
et qui encore 1rs brisait, se résigna dès qu'il obtint l'emploi do barbier. Ou ne le surveillait pas plus que s'il ne lui restait qu'un mois à faire, quoiqu'il fût condamné à perpétuité. 47