Les bagnes : Histoire, Types, Mœurs, Mystères

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LES BAGNES.

chez lequel la pensée du meurtre lut la plus rapide. Un seul tombe frappé, et un Capponi est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Ces hommes conservent au bagne leur pensée fixe. Un d'eux d i sait au barbero de sa salle : « I1 y en a parmi les miens que la main du barbier ne touchera pas avant que ma condamnation ne soit payée p a r l e s a n g . » Vœu terrible auquel le Corse ne ment j a m a i s . La religion seule a pu quelquefois comprimer chez les Corses l'instinct de la vengeance ; l'écrivain que j ' a i cité au commencement de ce chapitre donne un exemple de l'influence de la foi c h r é tienne sur l'esprit de vendetta. Un paysan en tue un autre, le meurtrier est arrêté, et le j u r y le condamne aux galères perpétuelles. Ces deux malheureux avaient chacun un fils, auquel ils avaient donné une certaine éducation. Le fils du mort écrit à son ami et lui conseille de fuir, parce qu'il doit une réparation à son père. L'ami d'enfance quitte donc le sol natal et se résigne à aller vivre en Sardaigne. Un mois après, son père meurt au b a g n e , et alors, pensant que tout motif de vendetta est désormais éteint, il écrit au fils de la victime, il le supplie d ' o u blier le passé et de lui permettre son retour dans le pays. « Gardetoi, lui répondit-il, de reparaître en Corse ; ma barbe ne cesse de pousser et la chemise de mon père est encore teinte de sang. » L'exilé ne tint aucun compte de cet avis, et revint dans son village pour respirer l'air natal une première fois. Arrivé dans sa bourgade, il se rendit incontinent dans l'église. Il lit prévenir son a m i , ou plutôt son plus cruel ennemi par p r é jugé de venir le tuer. Ce dernier ne manqua point au rendez-vous; mais soit retour aux souvenirs de l'enfance, soit la cruauté de commettre un assassinat dans le saint l i e u , il lui tendit la main , fondit en larmes, l'embrassa, et le suppliant de l'attendre, il alla quérir sa mère en l'entraînant de vive force à l'église : « Tenez, lui dit-il, voilà le fils de l'assassin de mon père, et voilà son poignard, tuez-le si vous l'osez, j e ne puis être que votre c o m p l i c e . » Est-il nécessaire d'ajouter que la mère n'osa point. Dans une des localités séparées du port, au fort Lamalgue, on


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