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LIVRE CINQUIÈME
A ces insultants et scandaleux procédés des noirs, l'administration ajoutait des vexations où
l'on ne sait ce
qu'il faut déplorer le plus ou d'une régularité inopportune ou d'une avidité peu déguisée. Avant de mourir, plusieurs déportés avaient légué à un compatriote, à un ami leurs effets et leur argent. L'ordonnateur estima cette manière d'agir
irrégulière et exigea que
faits en présence du commandant magasin : à défaut
les testaments fussent en chef et du garde-
de quoi, les effets étaient
vendus à
l'encan et le produit de cette vente, ainsi que le numéraire trouvé dans la succession, encaissés pour le trésor. C'est ainsi que l'État disputait aux déportés survivants les dépouilles de leurs confrères. Ce règlement s'exécutait avec rigueur: Huybrecht, curé de Saint-Bavon, de Gand, ayant, par devant
témoins, donné ses effets à un bénédictin
de
l'abbaye d'Orval, dom Malachie, l'ordonnateur du poste se les fit rendre et ils furent vendus au profil de la République. L e mois d'octobre ne fut pas moins tristemenl fécond que le précédent. Dans les dix-neuf premiers j o u r s , il y eut treize décès, de sorte que, du 5 août au 19 octobre, sur
quatre-vingt-sept
déportés amenés à Conanama
(le
Brillant en avait amené cinq le 4 septembre), vingt-huit avaient succombé. La jeunesse et l'âge mûr n'avaient pas été
plus épargnés que la vieillesse ; les plus
vaillants
étaient exténués, moribonds, se soutenant à peine; l'hôpital débordait de malades, bien qu'on en redoutât le personnel et les soins. Cette situation était connue : dès le commencement
d'octobre,
plusieurs
rapports
officiels
avaient informé Jeannet de la mortalité qui régnait à Con a n a m a ; comment l'agent du Directoire n'eut-il pas assez d'humanité et d'initiative pour y mettre un terme, immédiatement et d'urgence? Il y songea, il le voulut peut-être.