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LIVRE CINQUIÈME
Dans le premier moment, les déportés avaient aidé l'équipage à jeter à la mer et le lest et le bois à brûler et jusqu'à leurs propres effets ; puis, sur un ordre exprès, ils étaient rentrés dans l'entre-pont. Quel désordre ! quelles secousses ! Dans ce repaire aussi bas qu'étroit, tout flottait, tout roulait, hamacs, épontilles, bréviaires, souliers, caisses et planches brisées. Les déportés tombaient les uns sur les autres ; la sueur inondait tous les fronts. La frégate glisse entre les écueils, s'arrête, poursuit sa marche ; une bordée démonte le gouvernail ; la membrure craque, les vergues se brisent, la quille traîne sur les roches, et l'on ne sait de quel coté va venir la mort, de la canonnade de l'ennemi ou de la frégate qui menace de s'entr'ouvrir sur un brisant et de couler à fond. Cependant
la frégate fut sauvée, mais elle était
hors
d'état de continuer son voyage. Les déportés espérèrent d'abord qu'on allait les débarquer et les ramener à Rochefort. Mais aucun
ordre
ne venait ; les souffrances
et
le dénûment étaient extrêmes ; on vivait comme sur un ponton. Un mois s'écoula dans cet état. Enfin, le 20 avril. à la chute du jour, un bâtiment vint mouiller dans le voisinage de la frégate : c'était celui sur lequel allaient passer les déportés. « Je me plais à rendre justice à l'humanité du commandant. Au moment de la cessation du feu, il envoya un officier offrir de l'eau-de-vie aux déportés en général et des secours à ceux qui en avaient un besoin plus particulier. Il était plein d'attention pour Gibert-Desmolières qui lui avait été recommandé, et se conduisait d'ailleurs avec nous aussi bien qu'il le pouvait. Il en était de même des autres officiers qui traitaient quelques-uns de nous plutôt en camarades qu'en prisonniers. »