Essai sur l'Histoire naturelle de l'isle de Saint-Domingue

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58 ESSAI SUR L'HISTOIRE NATURELLE la fuite, elle ne p o u v o i t les imiter fans e x pofer les jours de fon nourriffon ; elle aima mieux lui facrifier les fiens, en faifant de fon corps une efpèce de v o u t e ; elle reçut fur e l l e , a v e c un courage i n o u i , les décombres de la m a i f o n , l'enfant fut c o n f e r v é ; mais elle m o u rut quelques jours après, victime de fon c œ u r généreux. Moi-même j'en fais l ' a v e u , je dois la vie à un e f c l a v e , qui dans ce jour f a t a l , me fit fortir de la maifon o ù j ' é t o i s , un infiant avant fa c h û t e ; il jouit maintenant de la liberté. Je la dois à d'autres N è g r e s , qui dans mes voyages , m'ont averti plufieurs fois des dangers que je courois fans m'en appercevoir. C e jeune N è g r e n'avoit-il aucun attachement pour fon maître , lorfque le v o y a n t e m b a r q u é , par ordre du G o u v e r n e u r , a v e c défenfe aux domeftiques de le f u i v r e , il fe fit coudre dans un m a t e l a s , pour tromper la vigilance des g a r des ? Si les hommes n'oublioient pas fi v î t e les bienfaits, on feroit furpris de voir tant de c o u r a g e , de grandeur d ' a m e , d'héroïfme dans des efclaves. Ils ne font pas non plus fi ftupides qu'on fe l'imagine : ils apprennent facilement les métiers qu'on leur enfeigne. Ils font de trèsbons imitateurs, & s'il faut les guider en t o u t , s'ils n'imaginent prefque r i e n , c'eft que l'efc l a v a g e brife les refforts de l'ame & abâtardit tout. O n remarque c h e z eux un fond d'amour-propre, qui les démafque en toutes c h o fes. Lorfque les blancs exécutent en leur préfence q u e l q u ' o u v r a g e qui leur paroît difficile, ils font comme ravis en extafe ; mais ils ne


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