Essai sur l'Histoire naturelle de l'isle de Saint-Domingue

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SAINT-DOMINGUE.

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rein inculte, pour y planter des vivres. Ils ne peuvent y travailler que les Dimanches & les jours de Fêtes, qui ne font pas employés au profit du maître, ou durant les deux heures de relâche qu'on leur accorde chaque jour : auffi cette grace, qu'on leur fait tant valoir, leur eft-elle fouvent plus onéreufe qu'avantageufe. La fin du jour annonce aux bêtes de fomme, le terme de leurs travaux journaliers; l'Africain, plus infortuné, eft averti feulement par là que les fiens vont changer d'objets , & qu'on va l'appliquer à des ouvrages minutieux qui vont laffer fa patience, après que ceux du jour ont épuifé fes forces ; on prolonge quelquefois fes veilles jufqu'à dix heures du foir. Faut-il après cela s'étonner, fi ces malheureufes victimes de la cupidité européenne fuccombent fous le double poids de l'indigence & de la fatigue ? On voit des Négreffes qui fe font avorter , pour que le maître barbare qu'elles fervent ne profite pas d'une poftérité , dont la condition ne peut être que malheureufe ; puifqu'elle doit être femblable à la leur. Une efpèce de compaffion fe joint au plaifir de la vengeance , pour outrager ainfi la nature. Coeurs inhumains ! ce crime atroce retombe fur vous. Vous êtes plus barbares que ces meres homicides, fi vous m'entendez fans frémir d'horreur... . Un efclave, qui voit la main de fon bourreau levée fans ceffe fur lui, s'abandonne fouvent au défefpoir, & ne penfe plus qu'à terminer une vie languiffante, dont il peut compD iv


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