Yup'iit Inupiat

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le découragement, le désarroi, le désespoir, le deuil. Les chiffres ne peuvent mesurer le traumatisme. C'est comme si la Grande Mort se répétait li nouveau, et aujourd'hui comme alors, les indigènes s'accusent eux-mêmes et ne savent pas pourquoi. Et comme lors de la Grande Mort, toute une génération d'indigènes en Alaska naît au beau milieu de ce traumatisme, tout comme leurs grandparents et leurs parents. L 'histoire se répète de façon tragique et douloureuse. C'est un cycle mortel qui a démarré lorsque les temps ont changé pour les Yup'iit et les autres tribus en Alaska. Pourquoi ?

Le cri des survivants de la Grande Mort était "Pourquoi ?,'. On entend aujourd'hui ce même cri dans les coeurs brisés, déroutés, choqués des peuples de l'Alaska. C'est une question qui exige une réponse. Nous savons maintenant que nos ancêtres subirent l'assaut de maladies apportées par les bateaux, des maladies comme la variole, les oreillons, la varicelle, et les grippes, qui culminèrent avec la Grande Mort, l'épidémie de grippes du début du siècle. Ignorant ce qu'étaient les microbes, ils attribuèrent ces maladies aux esprits malfaisants et àleur propres faiblesses. Ils s'accusèrent, accusèrent leur mode de vie, et en conséquence, abandonnèrent leur mode de vie et leur propre identité. Mais ce n'était pas la fin de leurs souffrances : la famine, la pauvreté, le désarroi, la polio, la tuberculose et la dépression psychologique s'ensuivirent, et conduirent àla mort des anciennes cultures aux alentours des années 50. L'épidémie d'aujourdhui est plus difficile a expliquer, mais on sait de façon certaine qu'elle provient de la Grande Mort elle-même, que c'est une maladie de l'âme et du psychisme de la génération présente parmi les indigènes d'Alaska. C'est une maladie héréditaire, transmise de père en fils. Mais elle a été transmise sans le savoir, sans le faire exprès, innocemment. Elle est néanmoins mortelle. Si elle n'est pas traitée, elle donnera naissance li une nouvelle génération d'âmes infectées. Une génération s'accuse

La nouvelle génération des indigenes d'Alaska est une génération qui s'accuse. Ces membres se repro-

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chent d'être au chômage, d'être des "citoyens de seconde classe", et de ne pas réussir comme le monde dans lequel ils vivent leur dit qu'il faut réussir. Ils se jugent à l'aune de la télévision américaine et d'une Amérique parfaite, et ils sont des "ratés". C'est ce qu'ils se reprochent. Et il n'y a personne pour leur dire que ce n'est pas de leur faute, qu'ils sont parfaitement normaux et que tout le monde les aime. Parfois ils ne savent même pas qui ils sont ou ce qu'ils sont. Bien sûr, ça ne décrit pas tous les jeunes autochtones en Alaska. Mais ça décrit les suicides, les alcooliques, les prisonniers, les jeunes "qui n'ont rien à faire" dans les villages. Ce sont les statistiques que l'on trouve dans les rapports. Ce sont des êtres vivants, des Eskimos, des Aléoutes, des Indiens, ceux auxquels personne ne fait attention jusqu'au jour où ils deviennent une statistique de plus. Et il y a de fortes chances pour que leurs parents euxmêmes soient des buveurs, et même des alcooliques. Il y a de fortes chances pour qu'ils aient vu la violence au foyer, physique, verbale, psychologique. Il y a de fortes chances pour qu'ils aient été ignorés, que personne ne se soit occupé d'eux. Pour qu'ils aient déçus dans leur enfance, émotionnellement traumatisés, malheureux. Pour qu'ils se soient imaginés qu'on ne les aimait pas, qu'on ne les voulait pas. Pour qu'ils aient connu la faim, qu'ils n 'aient pas été propres, qu'ils aient reçu peu de répit, et qu'ils aient été de mauvais élèves. Pour qu'ils aient été désappointés par leurs parents: peut-être les aimaient-ils, mais ils n'étaient pas aimés de retour. Il y a de fortes chances pour qu'ils ne soient plus capables de communiquer avec les autres - ni leurs parents, ni leurs familles, ni leurs amis, personne. Et lorsqu'ils arrivent à l'âge adulte, ils sont déprimés au plus profond de leur âme. Arrivés à l'âge adulte, ils sont démoralisés, découragés, et n'ont pas une très haute opinion d'eux-mêmes. Au fond de leur coeur, ce sont des enfants blessés, frustrés, déroutés et en colère. Ils ne parlent jamais, ils sont rentrés en eux-mêmes. Ce sont eux qui, lorsqu'ils se mettent à boire, deviennent rapidement intoxiqués, d'abord psychologiquement etensuÏte physiquement. Et bientôt, sous l'influence de l'alcool, ils se mettent à exprimer leur colère, leur frustration, leur désarroi, en


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