Yup'iit Inupiat

Page 11

Je l'ai appris dans les livres. Je parle également couramment ma propre langue, et je pense dans ma langue. l'ai passé mon baccalauréat en 1968 avec mention. De là, j'ai fait ma première année d'université à Great Falls dans le Montana, où j'ai choisi d'étudier l'histoire. Ensuite, j'ai été transféré à l'Université d'Alaska, où j'ai continué a étudier l'histoire. En 1972,je suis devenu Directeur de l'Association des Présidents de Conseils de Villages (A VCP), et c'est dans ce poste que j'ai appris à connaître de façon plus intime mon propre peuple yupik. Tout ce que j'avais àleur offrir, c'était des idées, et je n'étais jamais à court. Le germe de la liberté et de l'autogestion faisait son chemin chez eux dans ces années-là, et heureusement, aujourd' hui, ils continuent à se battre pour leur indépendance et leur propre gouvernement. J'étais infatigable, j'avais 22 ans, et j'étais de leur côté. Rapidement, leurs problèmes devinrent les miens. Je pensais naïvement que je pouvais tous les résoudre, mais ce n'est pas la peine de dire que c'était loin d'être le cas. l'aidais à les loger, les vêtir, les nourrir, les éduquer, je protégeais leurs droits, je me battais pour eux, je luttais de toutes mes forces pour eux - et maintenant je me rends compte que je ne voyais pas l'essentiel de notre existence, notre bien-être spirituel. Quand j'ai commencé à travailler pour nos villages, je ne buvais pas. Je n'aimais pas boire, et je n'aimais pas le goût de l'alcool. Mais apres cinq ans passés en réunions incessantes à Anchorage, Juneau et Washington, en compagnie de gens pour lesquels boire faisait partie de la vie, j'ai commencé à en prendre 1'habitude, comme tant d'autres indigènes. Mais je ne m'en rendais pas compte, ça faisait simplement partie de ma vie. Je me suis peut-être trop pris au sérieux, moi et mes responsabilités, maisc'estceque je pensais être mes échecs et la frustration et la colère qui en découlaient, qui m'ont amené à devenir un alcoolique. l'étais trop jeune, trop inexpérimenté et je prenais les choses trop a coeur. Mais quelque chose dans mon âme, dans mes origines, dans l'histoire de ma famille et de mon village, m'avait préconditionné pour intél10riser et personnaliser tout ce que je percevais comme une défaite.

Ça ne veut pas dire que je ne faisais rien de bien. l'ai quand même dû faire du bien, parce que, abeaucoup d'égards, j'ai laissé mon peuple en meilleur état que quand ils m'ont confié tant de responsabilité l'âge de 22 ans. Je leur ai donné le meilleur de moi-même, et ma famille en a fait autant. Nous leur avons sacrifié beaucoup. l'étais rarement â la maison, et mes enfants devaient rester alamaison à m'attendre. Cependant, j'y ai consacré toute mon énergie, et mes enfants ont donné leur pere pour les autres.

a

Toute ma vie adulte a été consacrée li travailler pour le peuple yupik. Je n'ai pas eu d'autre employeur qu'eux. J'ai été leur directeur, leur vice-président, leur président et vice-président du conseil. C'est mon histoire jusqu'à ce jour de juin 1984 ou mon monde, tel que je le connaissais, s'est écroulé avec la mort de mon fils. J'ai maintenant 39 ans. J'ai passé les 21 premiëres années de ma vieal'école,etles 13 années suivantes àtravailler pour notre peuple yupik. Et j'ai passé les cinq dernières années en prison, le résultat direct de mon alcoolisme. J'ai passé ces cinq dernières années en deuil, non seulement pour mon fils, mais pour tous ceux qui sont morts dans cette longue nuit de souffrance provoquée par l'alcool. J'ai aussi consacré tout ce temps à explorer ma propre conscience et celle de mes compatriotes indigènes, également affligés par cette maladie. Et c'est une maladie. C'est une maladie parce que ceux qui en souffrent / n'ont pas voulu délibérem .ent être infectés. Personne ne se porte volontaire pour vivre une vie de misère, de chagrin, de déception et de désespoir. Aucun être sain d'esprit ne choisirait de perdre un être cher, de briser le coeur de sa famille, et même de se retrouver en prison. C'est une maladie, parce que personne ne va se mettre à battre sa femme, molester ses enfants, où les tourmenter, parce qu'il le désire. Personne ne rêve d'une chose pareille. Et pourtant, malheureusement, c'est ce qui se passe trop souvent dans nos villages et nos foyers, et si nous le pouvons, nous devons y mettre un frein. Nous devons arrêter cette maladie, ce malheur, cette souffrance - et la bonne nouvelle, c'est que nous pouvons le faire.

9


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.