Voix indiennes du grand nord

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Surtout, il fallait vivre.

- Pourquoi n'ont-ils pas essayé de fabriquer des armes traditionnelles, en os?

Pourtant, dans un de tes livres, "AMAAMAK", tu parles d'une trentaine d'Inuit qui ont fondé une communauté dans le Grand Nord pour échapper à cette vie imposée par la civilisation blanche et continuer à vivre selon les coutumes d'autrefois, sous l'igloo et la tente de peau ...

Beaucoup avaient perdu la manière depuis longtemps. Tuer des caribous avec des arcs faits avec des cornes de boeuf musqué, la corde en boyau tendu, plus personne ne savait. Les vieux savaient encore mais n'étaient plus assez.adroits. Il fallait réapprendre, mais surtout il fallait vivre. Ils n'avaient pas le temps de réapprendre.

- Quand j'ai parlé de ça, l'opération était en cours. C'était en 1972. Malheureusement, elle a échoué. C ' était des vieux qui voulaient revivre comme avant. Il n'y avait pas beaucoup de très jeunes. Les plus jeunes avaient aux environs de la quarantaine. Il Y avait quelques enfants. Ils sont partis à deux cents miles au nord d' Igloolik, dans une petite baie où ils ont construit un village d'igloos. Ils sont partis avec les chiens, les traîneaux, ils avaient des armes modernes tout de même. Ça a duré deux ans à peu près. L'un d'eux, un jour, est tombé malade, et alors que ces gens-là côtoyaient la mort sans problème avant, là ils ont un peu pris peur. Il en est mort un, un autre est tombé malade. Ils étaient quand même SUl V1S, on était au courant de ce qui se passait. On leur a porté secours, on en a rapatrié en hélicoptère. Quand les gens tombaient malades, ils n ' arrivaient pas à faire face comme ils le faisaient avant. Il en est donc descendu de plus en plus à Igloolik et l'opération a capoté comme ça. Ils ont compris d'eux-mêmes qu'ils ne pouvaient pas revenir en arrière. Ils arrivaient péniblement à survivre, en chassant, mais il y avait quelque chose de cassé. Et aussi, ils ne pouvaient pas vivre en autarcie comme ils vivaient avant; il leur fallait des balles, ils étaient tributaires de la civilisation blanche.

Des écoles inuit. N'existe-t-il pas chez les Inuit l'équivalent des Ecoles de Survie chez les Indiens ? - Si, cela existe. Sui te à tout ce qui se passe, il y a un mouvement qui est général à tout l'Arctique pour sauver ce qui reste encore à sauver de la culture et des traditions. Dans les villages, il y a évidemment des écoles anglaises ou françaises, mais il y a parallèlement des écoles inuit où on apprend aux enfants à arnacher les chiens, à pister un ours à Se déplacer sur la banquise quand ell~ casse, etc. Les enfants apprennent cela avec plaisir, mais en réalité ils le mettent en application d'une façon plus ou moins de loisir ou de tourisme. Ils sont tous restés chasseurs dans l'âme mais ce n'est plus vital maintenant de tuer du gibier. Si on ne tue pas de gibier ce n'est pas grave, on va à la coopérative , , on achete une boîte de petits pois et des saucisses ...

Nos maisons sont chauffées et nous essayons de garder nos enfants en bonne santé, et ils tombent pourtant malades plus souvent. Autrefois, les gens ne tombaient pas malades aussi so.uvent et je n'ai été conscient de la mort que lorsque mon grand-père est mort. Je sais que des gens meurent partout, tout le temps, mais il m~ semb le que les gens meurent plus, ici et aujourd 'hui, que dans le temps. Pour cela, je n'aime pas beaucoup cette nouveLLe vie. (Imaruituq TaqtuJ 10


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