Hurons Abenaki

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roi, à la médisance de mille sortes de personnes, à la perte de leurs charges, au mépris de leurs semblables ; en un mot, leur vie molle est traversée par l'ambition, l'orgueil, la présomption et l'envie. Ils sont esclaves de leurs passions et de leur roi, qui est l'unique Français heureux, par rapport à cette adorable liberté dont il jouit tout seul. Tu vois que nous sommes un millier d'hommes dans notre village, que nous nous a~mons comme frères; que ce qui est à l'un est au service de l'autre; que les chefs de guerre, de nation et de conseil n'ont PAS PLUS DE POUVOIR QUE LES AUTRES HURONS; qu'on n'a jamais vu de qurelles ni de médisance parmi nous et qu'enfin CHACUN EST MAITRE DE SOIMEME et fait tout ce qu'il veut sans rendre compte à personne et sans qu'on trouve à redire. ( ... )

Maudite Ecriture "Voulez-vous que vos femmes soient sages soyez ce que vous appelez "sauvages", c'est-à-dire soyez HURONS ; aimez-les comme vous-mêmes et ne les vendez pas. Car je connais certains maris parmi vous qui consentent aussi lâche~ent au libertinage de leurs épouses que des mères à la prostitution de leurs filles. Ces gens-là ne le font que parce que la nécessité les y oblige. Sur ce pied-là, c'est un grand bonheur pour les Hurons de n'être pas réduits à faire les bassesses que la misère inspire aux gens qui ne sont pas accoutumés à être misérables. Nous ne sommes jamais NI RICHES NI PAUVRES; et c'est en cela que notre bonheur est au-dessus de toutes vos richesses. Car nous ne sommes pas obligés de vendre nos femmes et nos filles pour vivre aux dépens de leurs travaux amoureux. Vous dites qu'elles sont sottes. Il est vrai, nous en convenons, car elles ne savent pas écrire des billets à leurs amis, comme les vôtres; et quand cela serait, l'esprit des Huronnes n'est pas assez pénétrant pour choisir a la physionomie des vieilles assez fidèles pour porter ces lettres galantes sous un silence éternel. AH, MAUDITE ECRITURE PERNICIEUSE INVENTION DES EUROPEENS, qui tremblent à la vue de leurs propres chimères qu'ils se représentent eux-mêmes par l'arrangement de vingt et, trois petites figures, plus propres a troubler le repos des hommes qu'à l'entretenir.

Les Hurons sont aussi des sots, s'il vous en faut croire, parce qu'ils n'ont point d'égard à la perte du pucelage des filles qu'ils épousent et qu'ils prennent en mariage des femmes que leurs camarades ont abandonnées. Mais, mon frère dis-moi, je te prie, les Français en sont-ils plus s,ges pour s'imaginer qu'une fille est pucelle parce qu'elle crie et qu'elle jure de l'être? Or, supposons qu'elle soit telle qu'il la croit, la conquête en est-elle meilleure ? Non vraiment; au contraire, le mari est obligé de lui apprendre un exercice qu'elle m~t ensuite en pratique avec. d'autres gens lorsqu'il n'est pas en etat de contin'ler journellement avec elle. Pour ce qui est des femmes que nous épousons après la séparation de leurs maris, n'est-ce pas la même chose que ce que vous appelez se marier avec des veuves ? Néanmoins avec cette différence que ces femmes ont tout lieu d'être persuadées que nous les aimons, au lieu que la plupart de vos veuves ont tout sujet de croire que vous épousez moins leurs corps que leurs richesses. Combien de désordres n'arrive-t-il pas dans les familles par des mariages comme ceux-là? Cependant, on n'y remédie pas, parce que le mal est incurable dès que le lien conjugal doit durer autant que la vie. ( ... )

Extrait de "La Hontan - Dialogues avec un Sauvage". Editions Sociales -1973

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