Colonies françaises

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PATRONAGE D E S ESCLAVES.

«Ce châtiment n'en est pas un en quelque sorte ; le noir ne le redoute que parce qu'il est privé de la nuit, dont il aime tant à disposer: le jour, ce châtiment serait un encouragement à la paresse; aussi on ne l'emploie jamais. «Dans ma visite sur une habitation-sucrerie, je n'ai pu me défendre d'une certaine impression désagréable à l'aspect, flétrissant pour l'humanité, de deux esclaves, un nègre et une négresse, qui portaient chacun un collier de fer, d'où partaient quatre branches d'un pied et demi de long, se terminant en spirale et en fer de lance. Le nègre était à la vérité un fort mauvais sujet, toujours marron: il venait de quitter la chaîne des travaux forcés, à laquelle il avait été condamné, sur ma poursuite, par la cour d'assises de la P o i n t e - à - P i t r e , pour différents vols de moutons, de volailles et de vivres, commis en état de marronnage , avec une extrême audace. La négresse avait aussi l'habitude du marronnage, et maraudait dans les plantations, dans les jardins des nègres et dans les poulaillers pour se nourrir, « Sur une autre habitation, j'ai été encore plus frappé à la vue hideuse d'un masque de fer-blanc sur la figure d'un négrillon, et surtout sur celle d'un esclave de 2 5 ans, nommé Albert ; les masques étaient cadenassés derrière la tête. En l'absence du propriétaire de cette habitation, sa femme, que j'interpellai, me dit que ces deux esclaves mangeaient de la terre. Albert contredisait cette assertion. En vain j'ai insisté pour voir tomber les masques : j e n'ai pu l'obtenir, la propriétaire m'ayant déclaré qu'elle ne pouvait les faire ôter en l'absence de son mari, qui d'ailleurs avait serré la clef. Un bruit de chaînes se fit immédiatement entendre, et je vis un esclave avec un bout de chaîne au pied, un autre un nabot (gros anneau de fer) à la j a m b e , enfin un troisième, nommé Jean, domestique de la maison, avec un collier hérissé de sept branches. L'officier municipal qui m'accompagnait ne fut pas étranger à l'impression pénible que j'éprouvai. Ce n'était pas pour délit de marronnage que ce dernier esclave était ainsi puni, mais seulement pour manquement fait à sa maîtresse, ainsi que je l'appris de celle-ci. «Cette habitation m'ayant toujours été signalée pour avoir une discipline dure, je crus devoir m'y transporter de nouveau le samedi suivant, pour m'assurer surtout si la règle du samedi nègre y était observée : nous trouvâmes cette fois le propriétaire, qui nous montra le masque brisé d'Albert, dont il nous annonça la fuite depuis deux j o u r s ; mais le domestique Jean portait encore son collier à branches, et son maître avait encore augmenté son châtiment en lui emprisonnant le pied droit dans une jambière en fer fixée dans le poteau d'une chambre assez spacieuse. Cette fois le propriétaire me dit qu'il punissait ainsi Jean pour avoir comploté une évasion avec Albert, dont il n'avait pu prévenir la fuite. En vain j'ai insisté encore avec énergie auprès de ce propriétaire pour obtenir l'enlèvement de ces entraves; il s'est montré inflexible, en disant qu'il s'y refuserait jusqu'à la rentrée d'Albert. « Ici se remarquent le vague et l'insuffisance des dispositions du Code noir, sur le


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