Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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LES C H E R C H E U R S DE Q U I N Q U I N A S

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contentaient de les écarter de la main. Leur marche, contrariée à chaque instant par ces obstacles végétaux, n'en était pas moins d'une rectitude parfaite, et l'aiguille de la boussole que Charles consultait fréquemment, au grand ébahissement des sauvages, très intrigués de sa mobilité, ne s'était pas écartée un instant de la direction indiquée depuis quatre heures déjà que les sauvages guides entraînaient les blancs dans le fourré. Subitement la forêt changea d'aspect. On entrait dans une entrellomas d'un caractère distinct de la lloma ou partie montagneuse. Au lieu de l'impénétrable fouillis de la matinée, la contrée où l'on cheminait maintenant n'offrait que des arbres géants, lauriers, cèdres, mimosas ou pseudo-juglans, disposés en massifs pittoresques entre lesquels des avenues semblaient avoir été percées. On eût dit un immense parc anglais perdu au milieu des jungles. On fit la halte du déjeuner dans un endroit où les avenues semblaient élargies du double et où des talus moussus d'une remarquable régularité formaient de véritables sièges ou des lits de repos. Ces talus, ainsi que Charles put s'en rendre compte, n'étaient autre chose que des amoncellements de pierres et de cailloux rangés en demi-cercle ou disposés sur une ligne, restes évidents d'une œuvre humaine. Interrogés, les sauvages se mirent à rire aux éclats, comme des gens mis en joie par la naïveté de la question. Puis ils répondirent que ces tas de pierres, qui intriguaient si fort le blanc, avaient été faits jadis par des gens de sa couleur pour recueillir l'or que charriait une rivière où leurs ancêtres avaient pêché le sabalo, et qui s'était depuis retirée vers le sud-est, où elle coulait dans l'Inambari. Cette révélation fit naître chez Charles deux courants de réflexions bien différentes. Comme chef d'expédition, il éprouvait une vive déception, parce que le subterfuge employé pour occuper ses hommes lui échappait; comme archéologue, il était ravi de cette découverte, qui le fixait sur un intéressant point d'histoire locale et lui prouvait qu'il approchait de cette cité de l'or si fameuse au xvii siècle. Pour tout concilier, il exigea de Belesmore de transformer en les traduisant aux porteurs les renseignements obtenus des Siriniris; les amas de pierres qu'on avait sous les yeux ne seraient que des ruines d'haciendas, installées là autrefois et dont la forêt aurait repris possession; les lavaderos se trouveraient plus loin. Au dire de leurs sauvages guides, les voyageurs n'étaient pas à plus de trois lieues de ce qui fut San Gaban. Après deux heures d'une marche facile, la caravane se trouvait dans une vaste clairière taillée dans la forêt. C'était un site d'un cachet spécial, d'une physionomie étrange due à l'inégalité des terrains environnants, creusés, fouillés, ruinés, soulevés sous le tapis verdoyant qui les recouvrait. En arrivant à cet endroit, les sauvages s'étaient assis sans prononcer e


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