Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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LES C H E R C H E U R S DE

QUINQUINAS

Péruviens, dont la corporation a gardé l'usage. Duret et ses compagnons semblaient tout désappointés de ne rien comprendre à leur langage; mais ils n'en avaient cure, leur préoccupation étant surtout de n'avoir pas encore trouvé les sujets qu'ils recherchaient. Cependant leurs espérances avaient une base sérieuse; les vallées de Tambopata, d'Apolobamba, de Pelechuco, d'où l'on extrait les meilleurs quinquinas boliviens, étant situées parallèlement au sud de celle qu'on parcourait, les conditions de climat, d'altitude, de sol, étant les mêmes, il y avait de grandes probabilités pour rencontrer dans la vallée de Canamari, dans celle de Marcapata et dans d'autres plus au nord, les mêmes variétés de calisayas. Depuis déjà une semaine nos chercheurs de quinquinas marchaient droit devant eux, c'est-à-dire suivaient avec des fortunes diverses le cours de la rivière. Plus que jamais les difficultés s'amoncelaient sur leur route ; il fallait faire un usage de plus en plus fréquent du machete. La végétation, si éblouissante, si réjouissante même à l'œil fatigué par la sécheresse des puñas et par la sauvagerie des puncus, était devenue par son exubérance une calamité, par son éclat une fatigue. Marcher, toujours marcher sous une éternelle voûte de verdure dans les bons endroits, crever à coups de sabre d'abatis l'épaisse muraille végétale des passiflores, des lianes, de mille végétaux enlacés, constituait une corvée qui étouffait jusqu'à la moindre velléité d'admirer. Des signes de mécontentement se manifestaient parmi les porteurs : un orage tropical qu'il avait fallu subir la veille, deux jours avant la chute de quelques hommes et de leurs ballots au fond d'une quebrada, il n'en avait pas fallu davantage pour affecter leur courage, qui ne demandait qu'à faiblir. Ce dernier accident, très fréquent dans de pareilles expéditions, n'avait eu aucune suite fâcheuse. Une petite quebrada ou crevasse s'était trouvée sous les pas d'une demi-douzaine de péons; masquée par une végétation fougueuse, nos hommes la croyaient à une distance suffisante lorsqu'ils mirent le pied dans le vide. Le fouillis végétal céda sous leur poids, et ils roulèrent avec leur charge à une profondeur de vingt mètres, jusque dans le ruisselet qui coulait au fond. Leurs cris dirent suffisamment qu'ils n'étaient pas morts, ainsi qu'ils le prétendaient. Leur terreur venait d'abord de la désagréable surprise d'une pareille chute, et surtout de tout le remue-ménage produit par leur arrivée imprévue parmi les serpents et les petits animaux de tout genre auxquels les quebradas servent de refuge. On fit dans le taillis une brèche qui permit à la lumière de pénétrer jusqu'au fond de la crevasse; on leur jeta, en guise d'échelles, quelques lianes au moyen desquelles ils remontèrent, et un coup de soleil eut vite fait de sécher sur eux leurs vêtements mouillés. L'événement eût passé inaperçu s'il ne s'était produit à son sujet un incident de nature à fixer l'attention des chefs de l'expédition.


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