Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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L E S C H E R C H E U R S DE

QUINQUINAS

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quarante degrés géographiques en longueur et sur une largeur extrêmement variable , dont la plus considérable s'étend dans tout le bassin de l'Amazone. On peut dire que cette immense surface n'est qu'une forêt entrecoupée de loin en loin par quelque savane ou llanos, ou servant de ceinture à des campos étendus, sillonnée par d'innombrables cours d'eau dont le tracé est encore à faire, seules routes permettant à l'homme d'y cheminer. Les sombres halliers sont par endroits tellement impénétrables, que le jaguar lui-même, ne pouvant s'y frayer un passage, est obligé de grimper à la cime des arbres pour continuer à suivre sa proie. Quelques Indiens sauvages, population aborigène éparse dans la montana, sont les seuls habitants de cette vaste solitude. Aux jours même de leur puissance, les Espagnols, franchissant les Cordillères, ne parvinrent pas à soumettre ces peuplades, et les Portugais, venant des rives de l'Atlantique, ne furent pas plus heureux. Les missionnaires, après d'immenses efforts, étaient parvenus à se fixer auprès de quelquesuns et à leur inculquer des rudiments de religion; les événements qui ont enlevé l'Amérique aux conquérants ont eu leur contre-coup fâcheux sur ces résultats si difficilement acquis. Sauf quelque poteau indicateur, sauf quelque mission en ruine sur le bord d'une rivière, la montaña reste presque aussi vierge que le jour où les vaisseaux de Christophe Colomb fendirent pour la première fois les flots de la mer des Caraïbes ; ses immenses solitudes restent toujours le domaine de petites tribus, dont plusieurs poussent la sauvagerie jusqu'à ses dernières limites. De longtemps encore l'homme ne pénétrera pas les secrets de la montaña. Cependant, de temps à autre, Duret et son fils, sous prétexte de se faire initier par les cascarilleros à la reconnaissance des diverses sortes de cinchonas, prenaient ces gens avec eux et, s'enfonçant dans les bois, cherchaient s'il n'existait point de zone susceptible d'exploitation. Charles Duret avait pris l'habitude quotidienne de relever astronomiquement la situation, soi-disant pour étudier la fameuse route commerciale, en réalité pour marquer sur la carte les endroits riches en calisayas. Jusqu'alors les résultats avaient été à peu près nuls ; les cascarilleros avaient passé des heures entières regardant la cime des arbres, examinant sur le sol les brindilles cassées, les feuilles arrachées par le vent, employant en un mot tous les procédés de leur métier pour tâcher de découvrir parmi les fourrés la teinte rougeâtre par laquelle les cinchonas, généralement isolés, se distinguent des autres arbres de la forêt; ils n'avaient encore rencontré que de faux quinquinas. Sentant leur importance, ils affectaient, pour se transmettre leur découverte, de ne communiquer entre eux que dans l'idiome aymara, celui des anciens


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