Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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L E S C H E R C H E U R S DE Q U I N Q U I N A S

L'heure était écoulée; déjà l'on commençait à dessangler les animaux, quand un des péons signala une sorte de saillie sur un mamelon perdu dans cette immensité. Après mûr examen, on convint que ce qu'on avait sous les yeux devait être quelque rancho recouvert de neige. On suspendit l'opération du déchargement et, sur l'ordre du chef de la caravane, on se mit en route avec l'espoir d'atteindre avant la nuit ce refuge problématique. Le crépuscule était complet quand on toucha au but; mais ce ne fut pas sans l'avoir souvent perdu de vue et désespéré à plusieurs reprises de pouvoir le retrouver, tant il se confondait dans l'ensemble neigeux de la contrée. La fortune souriait dans une certaine mesure aux voyageurs. L'asile qu'ils avaient découvert était une rancheria d'été non encore occupée par ses habitants. Malgré son état de délabrement, dans la circonstance elle parut un palais, car elle était assez vaste pour offrir un abri à tous les voyageurs et à leurs chevaux. Quant aux mules, elles passeraient une fois de plus la nuit dehors. La rancheria ainsi découverte se composait de deux ranchos de proportions restreintes, d'une petite écurie et de deux toits bas pour abriter les provisions ; le tout était flanqué de deux enceintes en pierres sèches, subdivisées en courettes, où les bergers parquaient séparément leurs lamas et leurs moutons. On y plaça les mules, qui eurent pour abri soit la muraille des ranchos, soit celle de l'enceinte, selon la direction du vent. Quant aux voyageurs, ils prirent possession du logis en se glissant sur les genoux par-dessous un cuir de vache desséché qui tenait lieu de porte. L'intérieur contenait pour tout mobilier des flaques de boue dues à l'infiltration des eaux et de la neige. Rien de plus simple que la construction de ces demeures, où les bergers de la puña passent la saison du pâturage jusqu'à ce que le mauvais temps les chasse. Sur le sol, un lit de grosses pierres ; sur ces pierres, une couche d'herbe, puis une autre assise de pierres, et ainsi de suite jusqu'à la hauteur de quatre à cinq pieds, excepté sur les deux extrémités, qu'on élève en pignons. De l'un à l'autre bout, une perche traînée à grand'peine jusque-là constitue l'appareil principal de la toiture. Sur le mur et sur cette perche s'inclinent des bâtons formés de la tige florale d'une agave, d'où sont également tirées les lattes supportant le chaume, emprunté à une herbe grossière particulière à la puña. Des cordes faites de la même herbe retiennent tout le système et, passant par-dessus le toit, le maintiennent tant bien que mal contre les assauts des tempêtes. Le premier soin des occupants quand ils arrivent est de réparer cette toiture, que chaque hiver disperse à peu près complètement. Tel était l'abri, si le mot n'est pas trop prétentieux, que nos voyageurs avaient découvert. Il fallut s'en arranger. En les serrant, on put loger dans la petite écurie les quatre chevaux des voyageurs. Quant aux pié-


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