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LES C H E R C H E U R S DE Q U I N Q U I N A S
rochers. Lorsque ces apprêts furent terminés, un signal fut donné ; les hauteurs tout à l'heure si mornes se couronnèrent tout à coup d'un cercle de rabatteurs dont la ligne rejoignit bientôt les nouveaux arrivés et se mit à converger lentement vers l'enceinte en poussant des cris retentissants, en agitant les perches aux loques multicolores, en se démenant furieusement. Ce vacarme eut pour effet de faire sortir de leurs retraites toutes les vigognes dont ce cirque était le cantonnement habituel. Effrayés outre mesure, les gracieux animaux bondirent de côté et d'autre, cherchant une issue pour fuir; à chaque tentative ils se heurtaient aux rabatteurs, dont le cercle, allant toujours en se rétrécissant, ne tarda pas à forcer les vigognes à fuir du seul côté libre, celui de l'enceinte. Surveillant attentivement le mouvement, les chasseurs ne tardèrent pas à reconnaître que quelques lamas se mêlaient aux vigognes. Aussitôt les capataces se glissèrent adroitement dans l'enceinte et se placèrent accroupis sur différents points, gardant l'immobité la plus absolue. A la vue des chiffons que le vent agitait, les animaux s'arrêtèrent brusquement; puis, affolés par les cris des rabatteurs, se précipitèrent enfin comme une avalanche; mais, au moment de toucher l'enceinte de cordes, leur épouvante fut si forte que les vigognes n'essayèrent même pas de franchir le faible rempart qui les enfermait. Éperdues, elles se mirent à parcourir l'enceinte, qui fut refermée sur elles ; mais en même temps les capataces virent les quelques lamas de la bande s'arrêter subitement et siffler en frappant la terre du pied. Se levant comme mû par un ressort, chaque homme choisit sa proie, puis, faisant tournoyer rapidement son lasso, se rendit maître en un clin d'œil du groupe des lamas. Il arrive assez fréquemment dans ces battues d'enfermer en même temps des lamas ; non seulement ceux-ci ne se laissent pas arrêter comme les vigognes par la vue des chiffons qu'agite le vent, mais ils sautent par-dessus l'obstacle ou le brisent; alors leur exemple entraîne les vigognes, qui ont l'instinct d'imitation stupide du mouton. C'est afin d'éviter cette fuite que les chasseurs font tous leurs efforts pour se rendre préalablement maîtres des lamas. Quand ils y sont parvenus, ils pénètrent dans le cercle de cordes et massacrent à leur aise les vigognes capturées. Lorsque l'enceinte est vide de ses prisonniers, on transporte sur un autre point tout l'appareil de chasse, et l'on recommence jusqu'à épuisement du gibier dans le canton. Le rodeo offert par don Juan n'était qu'une partie de plaisir et non une opération commerciale semblable à celles que font d'ordinaire les habitants de plusieurs villages, associés pour la circonstance ; on se contenta donc de cette première capture, qui montait encore à soixante-douze animaux, et l'on reprit le chemin de l'hacienda. Mais le riche propriétaire ménageait à ses invités une surprise d'un autre genre et bien conforme à leur goût. Il proposa de prendre en