Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

Page 43

LES C H E R C H E U R S DE Q U I N Q U I N A S

43

Pendant qu'on absorbait à la hâte un repas de viandes froides, les derniers apprêts se complétaient. D'immenses trompes de fer blanc, au moyen desquelles les bergers des puñas sonnent le ranz de leurs animaux quand ils sont las des sons aigrelets de leurs syrinx, lançaient aux quatre points de l'horizon de pressants appels, auxquels tous les Indiens de la plaine répondaient en accourant ; les mozos s'empressaient, les majordomes groupaient les hommes, les femmes et même les enfants, en escouades munies de longues cordes, de paquets de chiffons multicolores et de piquets. Lorsqu'on s'ébranla aux cris mille fois répétés de : « Rodeo ! rodeo ! » le coup d'oeil de la colonne ne manquait pas de pittoresque. En tête marchait le maître, entouré de ses invités, qui formaient une calvacade brillante où papillonnaient sans cesse les dames ; les intrépides amazones ne semblaient pas plus s'apercevoir de leurs exploits bachiques de la veille que de la température encore rigoureuse du matin. Derrière, venait la foule des piétons, hurlant d'une manière sauvage en agitant des perches surmontées de drapeaux aux couleurs criardes. La marche était formée par un fort peloton de capataces, portant, avec leurs lassos en bandoulière, de forts rouleaux de cordes en cuir tressé. Pendant une heure, la troupe de chasseurs se déroula dans la plaine pour gagner les défilés de la montagne. Toutes les chaumières rencontrées sur le chemin étaient vides; leurs habitants, réquisitionnés d'avance, se trouvaient déjà dans la montagne, ayant gagné durant la nuit le poste qui leur avait été assigné. Seuls deux ou trois ranchos présentaient, au contraire, une animation particulière : on s'y occupait de tondre les lamas. Or, comme cette importante opération ne peut être confiée qu'à des travailleurs spéciaux qui sont envoyés à des moments déterminés, la population de ces ranchos n'avait pu prendre part à l'expédition de chasse. On avait parqué dans une étroite enceinte tout le troupeau dont on voulait récolter la toison. De temps en temps un lasso s'abattait en tournoyant sur un lama; l'animal était jeté à terre et, les quatre pattes liées, était livré aux cisailles des tondeurs. Un sousmajordome pesait les toisons. Quand, l'opération terminée, l'animal se relevait piteux, rien n'était plus singulier que l'aspect apocalyptique de sa tête, portant une fourrure intacte au sommet du cou long et dénudé. Avec le produit de cette tonte, qui est fort abondante, car chaque animal donne de six à huit kilogrammes par année, il se fabrique dans toute la région andine une grande quantité d'étoffe grossière, mais solide, servant à la confection des punchos, qui servent, dans ces contrées aux brusques variations atmosphériques, tout à la fois de manteau et de parapluie. L'alpaca, qui est un animal voisin du lama, n'a pas, ainsi que celui-ci, d'utilité comme bête de somme; mais, comme il fournit une laine d'une


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.