Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

Page 287

LES C H E R C H E U R S DE

QUINQUINAS

287

La flottille ne comportant point d'embarcations pourvues de voiles, Garupé résolut d'abréger sa route en délaissant le principal cours de la Madeira et de prendre, au delà de l'île Maraca, le furo Uraria. Outre l'avantage d'un itinéraire un peu moins long, il était guidé par cette importante considération d'éviter environ quatre cents kilomètres de navigation périlleuse sur l'Amazone. A cette époque de l'année, le grand fleuve est le centre de rafales terribles et d'orages qui se déchaînent subitement avec une violence sans pareille. En outre, la grande île de Tupinambarana étant bordée de stations assez rapprochées et l'approvisionnement y étant facile, c'était une préoccupation de moins pour des gens qui avaient épuisé leurs vivres; enfin l'issue du voyage approchait, ce qui ne contribuait pas peu à soutenir l'ardeur des équipages. En effet, cinq jours après avoir embouqué l'Uraria et passé successivement devant Canuman, Mauès et Maçary, les voyageurs débouchaient dans l'Amazone elle-même et s'arrêtaient quelques heures à Parintins, pour faire préparer un chargement de guarana que Garupé devait prendre au retour et rapporter aux amateurs forcenés de son pays. Déjà le grand fleuve était sillonné de loin en loin par quelques embarcations employées aux échanges des produits venus de l'intérieur. Tantôt une frégate venue d'Europe fendait de son avant les eaux rapides, et tantôt une humble montaria, pourvue de sa voile latine, semblait une mouette rasant la crête des vagues. La flottille croisa même toute une série de balsas, venues des confins les plus éloignés malgré le tumulte mal apaisé de la crue. Rien n'était mieux fait que ces primitives embarcations pour marquer l'insouciance de l'Indien en général : quelques troncs d'arbres à peine équarris liés fortement ensemble; au milieu, une plate-forme carrée, abritée par un toit de feuillage soutenu sur quatre piquets ; deux ou trois nattes, qu'on déplace selon la position du soleil, pour obtenir l'ombre nécessaire. Sous cet abri se tiennent la femme et les enfants : celle-ci travaille à quelque ouvrage de vannerie, tout en surveillant le foyer installé sur une plaque de gazon retourné ; ceux-là courent insoucieusement le long de l'embarcation avec une adresse merveilleuse, risquant vingt fois par jour un plongeon mortel, sans que leurs parents daignent seulement détourner la tête pour les avertir du danger. Pendant ce temps l'homme, accroupi sur l'avant de la machine, surveille en somnolant l'état du fleuve et, s'il y a lieu, repousse avec une perche les épaves flottantes ou s'en écarte habilement. Sur l'arrière, la famille entasse la cargaison dont elle va, après des centaines de lieues, faire argent, ou plutôt échanger, pour le dixième de sa valeur, contre les marchandises qu'elle convoite et que les honnêtes commerçants de la ville lui cotent d'après l'envie qu'elle montre de les posséder. Et les pauvres gens s'en vont ainsi durant des semaines et des mois


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.