Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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LES C H E R C H E U R S DE Q U I N Q U I N A S

N'en trouvant point, ils se dirigèrent du côté des tambos, au risque de rencontrer quelque veilleur; mais la faim qui les torturait leur donnait l'audace nécessaire. En marchant à tâtons dans la nuit noire, ils allaient pénétrer sous une hutte pour y faire des recherches, quand le compagnon de Belesmore trébucha et s'étendit tout de son long sur un objet qui se mit à s'agiter sous le choc. L'obstacle était une vieille femme étendue en travers de son tambo et qui, se trouvant un peu moins abrutie que les autres Indiens, se mit à crier en recevant la secousse qui l'éveillait; une lueur d'intelligence lui faisait comprendre que ces deux hommes debout ne pouvaient être des siens; ennemis ou étrangers, c'étaient des intrus dont la présence devait être signalée. Elle poussa des cris inarticulés que l'ivresse, heureusement, étouffait à moitié dans son gosier, et voulut se lever pour donner l'alarme; elle retomba, impuissante à se soutenir. Mais celte intervention pouvait être fatale aux fugitifs. Abandonnant leurs recherches, ils se précipitèrent vers la rivière, et, trouvant une pirogue armée de ses pagaies, ils se lancèrent à toute vitesse vers l'autre rive. L'alarme ne pouvant tarder à être donnée, il fallait surtout gagner du terrain avant que les Jumas fussent en état d'entamer la poursuite. Ils ne se dissimulaient pas qu'elle serait ardente de la part de leurs ennemis, tandis que leur fuite s'accomplissait dans les conditions les plus désastreuses pour eux. Épuisés par les fatigues, torturés par la faim, sans armes et sans provisions, toutes les chances leur étaient contraires; mais les épouvantables scènes auxquelles ils avaient assisté, le sort qui les attendait les poussaient à affronter sans hésiter les hasards les plus grands et à préférer la mort sous la dent des bêtes féroces ou par la faim plutôt que celle qui leur était réservée. En abordant sur l'autre rive, leur premier soin fut de lancer au loin la pirogue et les pagaies, afin que, emportées par le courant, elles devinssent un moyen de poursuite enlevé à leurs bourreaux; puis, s'orientant vers l'est, ils se lancèrent à tout hasard dans les campos qui couvraient la contrée. Malgré leur hâte de s'éloigner, ils ne pouvaient qu'avancer bien lentement; la nuit, qui masquait leur fuite, retardait leur marche non moins que leur faiblesse. Plus d'une fois les malheureux s'aperçurent qu'ils s'écartaient de leur direction. Ils avaient fait peu de chemin lorsque le jour parut; leur anxiété s'en accrut encore; la poursuite ne pouvait tarder: les Indiens sont si habiles à découvrir une piste ! L'excitation qui les avait soutenus jusque-là vint à tomber tout à coup; leurs nerfs tendus outre mesure avaient fourni toute la somme de résistance possible et leur refusaient subitement tout service. Il fallut suspendre la fuite pour reprendre quelques forces; un ananas sauvage, dur et sec, qu'ils arrachèrent avec leurs doigts, leur fournit un semblant de nourri-


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