Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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L E S C H E R C H E U R S DE Q U I N Q U I N A S

les profondeurs de l'eau. Il se livrait là un combat dont l'horreur fut épargnée aux compagnons de Guttierez. Quand chaque monstre eut donné son coup de dent, l'appareil remonta à la surface ; le supplicié avait cessé de vivre ; on apercevait un amas de chair sans nom, informe, secoué au milieu d'un grand cercle sanglant ; un point semblait être la tête; le reste était affreusement mutilé, hideusement déchiqueté. Ce n'était là qu'une première attaque. Alléchés, les caïmans se jetèrent de nouveau sur leur proie, et, dans leur lutte pour en tirer de nouveaux lambeaux, la poussant devant eux, roulant et plongeant tour à tour, ils lui firent gagner ainsi le courant qui traversait le lac. A cette vue, l'enthousiasme des Jumas ne connut plus de bornes ; le spectacle allait se prolonger au gré de leurs désirs. Une partie se précipita dans les pirogues, tandis que le reste suivait les bords de la rivière de façon à ne rien perdre des efforts faits par les monstres pour compléter le festin qu'ils avaient commencé. L'ignoble jeu se poursuivit ainsi durant près de trois quarts d'heure. A la fin, les derniers débris de ce qui fut Guttierez disparurent arrachés des liens devenus trop lâches. Alors un long hurlement de triomphe éclata sur les deux rives, tandis que les bourreaux montraient aux autres victimes le cylindre de toroh allant se perdre au fil de l'eau ; en même temps des gestes et des cris significatifs disaient aux prisonniers atterrés que leur tour allait bientôt venir. Les malheureux péons furent jetés de nouveau sous le tambo qui les avait déjà abrités, tandis qu'on préparait un foyer dont les dimensions les plongeaient dans une douloureuse perplexité. Les femmes s'agitaient démesurément, apportant de toutes parts des façons d'auges de bois où chacun des guerriers puisait à même un liquide qui paraissait exciter singulièrement leurs instincts sanguinaires. En effet, une nouvelle assemblée, dont le cacique et le sorcier purent à peine dominer le tumulte, eut lieu pour fixer le sort des autres victimes. La conclusion fut qu'on emmena deux des Moxos dans le cercle des guerriers. Ils n'avaient pas eu le temps de se rendre compte de ce qu'on leur voulait, qu'ils tombaient tous deux, le crâne fracassé d'un coup de massue assené par derrière. Puis le cacique se pencha sur une des deux victimes tandis que le sorcier s'attachait à l'autre, et, fouillant les entrailles avec un long couteau, ils en tirèrent le cœur, qu'ils dévorèrent tout palpitant, en dansant autour des cadavres d'après une mesure fournie par les tambours, les flûtes humaines et les hurlements de la tribu. Alors chacun se précipita sur les corps et, se disputant comme un troupeau de chiens, les dépeça en morceaux, s'adjugeant qui une jambe, qui un bras, une cuisse ou un lambeau quelconque, qui fut porté devant


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