Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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LES C H E R C H E U R S DE

QUINQUINAS

ondoyants, que chaque rencontre avec une autre épave rognait ou dispersait. Dans la vie sauvage, cependant, aucune circonstance ne passe inaperçue; le majordome, au bout de quelque temps, fit remarquer à Duret un vol d'urubus, qui suivaient en tournoyant, un îlot flottant au milieu des autres. « Quelque cadavre sans doute étendu sur le sol ; et, comme les urubus n'aiment pas à mouiller leurs plumes, ils le suivent de préférence à ceux qui flottent sur l'eau, dit Garupé. — Néanmoins, fit observer Charles au bout de quelques minutes d'attention, les allures de ces oiseaux ne me semblent pas ordinaires. Estce ma vue ? cela tient-il à d'autres causes ? mais il me semble qu'ils hésitent à déchiqueter leur proie. Ils volent en tournoyant, mais ils ne s'abattent pas dessus; peut-être l'animal qu'ils guettent ainsi n'est-il pas tout à fait mort, ses dernières convulsions leur font craindre sans doute quelque piège. » Le courant portant un peu dans cette direction, les embarcations se rapprochèrent bientôt d'un champ de roseaux flottants que les urubus ne perdaient pas de vue. Les oiseaux parurent tout d'abord ne point s'apercevoir de la présence des hommes; mais bientôt tournoyant avec plus d'acharnement encore au-dessus de leur proie, ils semblaient accentuer par leurs croassements la crainte de se voir priver de leur aubaine. En même temps, il s'élevait du milieu des roseaux comme une faible plainte dont l'accent glissa sur les eaux jusqu'au groupe des survivants. Un instant après le même bruit se renouvela. « N'avez-vous rien entendu? demanda Garupé à Duret. On dirait qu'un cri d'appel a été poussé de ce côté. » Chacun tendit l'oreille; bientôt on reconnut comme des gémissements affaiblis s'échappant de l'épave flottante. Les embarcations, distantes seulement d'une cinquantaine de mètres, s'approchèrent et touchèrent bientôt l'îlot flottant ; aussitôt les urubus s'envolèrent, effrayés et furieux. Puis, après mille précautions, on prit pied sur ce radeau coupé de nombreuses crevasses, résultat des chocs éprouvés durant sa traversée. L'épave qu'on abordait pouvait avoir une centaine de mètres de longueur et au moins cinquante de largeur ; elle se composait d'un enchevêtrement inextricable de graminées et de roseaux de toutes tailles, dont les racines, entremêlées comme un feutre végétal, avaient retenu les boues alluvionnaires dont elles se nourrissaient tout en restant à la surface de l'eau. L'ensemble constituait un appareil fort capable de porter un poids notable, malgré les déchirures qui en sillonnaient la surface. Tandis que les autres maintenaient les embarcations dans la bonne direction, deux Moxos explorèrent les touffes épaisses de l'îlot. Ils revin-


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