Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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L E S C H E R C H E U R S DE

QUINQUINAS

On passa la nuit dans les embarcations mêmes ; dès l'aube on reprit les tentatives de délivrance. Il fallut la plus grande attention pour ne point s'égarer dans ces recherches pénibles, car cette partie de la rivière devenait lacustre; elle se composait de plusieurs bras étroits, peu profonds, issus de petits lacs, sortes de carrefours aquatiques dont il fallait battre les rives, ce qui allongeait singulièrement la marche. En se partageant le parcours, on diminua un peu ces retards; mais presque toute la journée se passa ainsi en recherches inutiles. Le découragement se manifestait déjà; il devint complet quand, après avoir suivi pendant plusieurs kilomètres un canal qui semblait le bras principal du cours d'eau, on se trouva tout à coup au bout d'une impasse. On revint sur ses pas, mais on parla d'abandonner la poursuite. Bien qu'ayant été profondément modifiée par l'action des missionnaires et bien qu'elle obéisse mieux que toute autre à l'influence civilisatrice, la race moxo, à laquelle appartenaient les compagnons de Duret, n'en conserve pas moins son caractère originel, c'est-à-dire essentiellement versatile et impressionnable, aussi facile à enflammer qu'à abattre, se décourageant avec la même promptitude qu'elle s'emporte. Charles frémissait à la pensée des tortures qui attendaient principalement Guttierez, en sa qualité de blanc; il éprouvait pour lui un réel attachement. Ce sentiment était bien vif sans doute, car il lui fit trouver des accents pathétiques si puissants, qu'il parvint à secouer la torpeur morale dans laquelle venaient de tomber subitement ses compagnons; il réussit à leur du retour, en prouvant aux maraudeurs de ces rivages la supériorité des Moxos sur les Indiens des bois. Ce compliment chatouilla leur amour-propre d'une façon délicieuse et fut un argument décisif. On retrouva la vraie voie navigable, et peu après on reconnut avoir franchi la région lacustre de la rivière. L'aspect du pays se modifiait ; des arbres et des buissons apparaissaient et se groupaient en bouquets d'une certaine importance ; bientôt ils devinrent abondants et se transformèrent en bois qui enserraient la petite rivière jusqu'au point d'en rétrécir le cours. Puis les arbres envahirent la route de façon à croiser leurs branches d'un bord à l'autre, formant ainsi de délicieuses voûtes de feuillage sous lesquelles la flottille s'enfonçait. Après quelques centaines de mètres, il fallut jouer de la hache et du machete pour ouvrir, sous ces arceaux verdoyants, le passage aux lourdes égariteas de Garupé. Postés sur l'avant de la plus grosse barque, deux Moxos, armés de sabres d'abatis, tranchaient les obstacles; derrière eux, deux autres écartaient les débris, tandis que l'équipage poussait avec des perches. Une partie de la journée se passa à naviguer dans ces conditions difficiles, mais les courages étaient soutenus par la découverte de nouveaux


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