Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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LES C H E R C H E U R S DE Q U I N Q U I N A S

Déjà la fraîcheur particulière de l'aube matinale se faisait sentir, quand tout à coup, à trois pas derrière les dormeurs, éclata une clameur formidable, poussée par cinquante poitrines à la fois. En même temps une bande de démons surgit des ténèbres et se rua sur le camp. Avant que les compagnons de Duret pussent se rendre compte de ce qui se passait, leurs sauvages agresseurs avaient capturé huit des leurs et s'étaient enfuis en les entraînant, malgré leur résistance, dans l'épaisseur de la forêt. En vain Charles et Garupé essayèrent-ils de réunir quelques hommes et de se porter avec eux au secours de leurs compagnons. A vingt mètres derrière eux, au delà de la bande de sable où était le campement, ils se heurtèrent au taillis infranchissable dans lequel les cris de leurs camarades allaient en s'éteignant. Il fallait attendre le jour pour tenter quoi que ce soit ; outre que la forêt demeurait pour eux pleine de mystère, ils ne pouvaient, comme leurs agresseurs, se diriger instinctivement dans ce dédale. Alors on se compta, car on n'avait pu encore se rendre compte de ceux qui avaient été enlevés avec tant d'audace. Guttierez, Pablo, Belesmore et deux péons, ainsi que trois rameurs de Garupé, avaient disparu. Aussitôt que le soleil levant eut jeté un peu de lumière dans la sombre profondeur des bois, Duret et une dizaine d'hommes s'élancèrent sur les traces de leurs compagnons, tandis que Garupé levait le campement et mettait les embarcations en état de partir. Par mesure de prudence, ils restèrent à bord, la pagaie en mains, prêts à s'éloigner ou à répondre au premier appel venu du rivage. Le soleil allait atteindre midi quand ils virent sortir de la forêt la troupe des poursuivants. Ils revenaient seuls, harassés, sans nouvelles des victimes. La trace des ravisseurs avait été tout d'abord facile à suivre ; ils avaient foncé à même les halliers, s'inquiétant peu de laisser des signes de leur passage, ne se préoccupant que de mettre en sûreté leur butin humain ; puis, à mesure que disparaissait la végétation spéciale à la lisière des bois, la trace devenait moins distincte ; Duret l'avait même perdue à diverses reprises. Il avait fallu plusieurs fois se diviser et battre le bois sur une certaine étendue pour retrouver la piste. A mesure qu'ils s'enfonçaient dans la forêt vierge, les brigands semblaient avoir eu souci de se dissimuler. Dans une des nombreuses fondrières qu'ils avaient dû franchir, où la vase se refermait immédiatement, Duret n'avait pu suivre les victimes que grâce à un lambeau de cascara resté accroché aux buissons. La vue de ce débris lui produisit une émotion singulière, car sa forme particulière ne semblait point le résultat d'un accident ayant endommagé le vêtement ; il crut reconnaître que le morceau avait été déchiré intentionnellement. Il s'imagina qu'un des prisonniers, comptant sur l'assistance de ses compagnons, semait ainsi sur sa route des indicateurs pour


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