Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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L E S C H E R C H E U R S DE Q U I N Q U I N A S

ses peines et de ses frais; aucun argument, aucune considération ne pouvait vaincre sa résistance. « Les étrangers n'ont ni argent ni parents dans le pays, répétait-il sans cesse à tout ce que le père Jacopo disait pour le décider; qui me garantit leurs moyens et leur volonté de me payer plus tard? » Et l'obstiné Moxo ne sortait pas de là. Il ne pouvait apprécier le point d'honneur que le missionnaire tâchait de lui faire valoir, ni la solidarité que ses protégés trouveraient certainement parmi les autres blancs de la ville d'Obidos. Encore moins comprenait-il que leur consul pût acquitter la dette pour leur compte. Cet acte d'un fonctionnaire qui, dans son intelligence d'Indien, ne pouvait être que l'équivalent d'un de leurs gouverneurs, lui semblait si monstrueux et si invraisemblable, que, loin de le décider, cette proposition ne fit qu'augmenter sa défiance. Les pauvres Indiens, Moxos ou autres, étaient et sont encore si indignement exploités par les fonctionnaires de tout ordre, que l'idée seule d'avoir affaire à eux suffit pour entraver toute négociation. Cependant le père Jacopo commençait à désespérer de vaincre une telle résistance; mais il s'était chargé de la négociation, et il tenait à honneur de la mener à bien. « Puisque tu n'as confiance ni dans les blancs ni dans leurs amis d'Obidos, finit-il par lui dire, tu auras sans doute confiance en moi? C'est moi qui te payerai, si tu ne reçois pas à Obidos le prix convenu pour le passage. » A cette proposition inattendue, le front du majordome se dérida; un sourire vint éclairer doucement sa face, et il déclara que puisque le père s'engageait à le payer, il acceptait ses conditions. Profitant de ses bonnes dispositions, le père Jacopo fit remettre à Garupé un engagement par lequel Duret lui verserait, en marchandises à son choix, une somme équivalant à deux cent cinquante francs par tête de passager. A défaut du payement dans un délai de quinze jours après l'arrivée à Obidos, Charles devait donner au pilote, pour le père Jacopo, une lettre l'instruisant de son insuccès et contenant une délégation sur le gouvernement vénézuélien. Au vu de cette lettre, le père remettrait à Garupé le prix du passage. « Je puis disposer de mon crédit en votre faveur, ajouta le missionnaire, mais non des fonds ou des marchandises qui sont la propriété de la mission, non la mienne. J'en ferai l'avance, s'il le faut, mais non l'abandon; nos ressources appartiennent à nos ouailles, et elles ne sont pas assez abondantes pour que nous en puissions distraire une part quelconque. » Charles Duret, comprenant toute la valeur de ces raisons et appréciant aussi l'étendue du service que lui rendait le missionnaire, ne savait comment lui en témoigner sa reconnaissance.


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