Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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L E S C H E R C H E U R S DE

QUINQUINAS

regardant côte à côte vos péons et nos Indiens, habitués à parcourir la forêt et les vastes campos qui la bordent. » Et, tout en donnant ces détails, le bon missionnaire se promenait au milieu de ses étranges paroissiens, échangeant avec eux des paroles et des caresses. Charles n'en revenait pas d'être obligé de reconnaître dans tous ces sauvages, plus bizarrement accoutrés les uns que les autres, des néophytes dont la foi naïve se manifestait de la façon la plus inattendue. Indépendamment du tatouage dont tous s'étaient barbouillé le visage, la plupart avaient le chef orné de couronnes en plumes de toucan ou de colibris, ou des coiffures en peau de singe relevées d'éclatantes ailes d'insectes ; autour de leur cou s'enroulaient des colliers en dents d'animaux ou en coquillages. Des peaux de serpents, des pierres singulières, des noyaux, des dépouilles variées de bêtes, tout était mis à contribution au gré de leur imagination, de leur fantaisie, pour se parer avant de venir à la mission. Et sous ces oripeaux, pas ou peu de costume! Les femmes, elles, étaient revêtues, par-dessus leurs ornements sauvages, d'une sorte de chemisette longue, faute de laquelle, — elles le savaient bien! — l'entrée de l'église leur eût été interdite. Quand tout ce monde eut été réuni, la messe fut célébrée par un des pères, tandis que les autres, circulant dans les rangs des fidèles, y maintenaient l'ordre et les aidaient à chanter quelques cantiques péniblement appris, exécutés plus péniblement encore. Une distribution de petits cadeaux suivit l'office; et, pour ne point trahir la vérité, il faut bien reconnaître que ces largesses accoutumées avaient plus d'effet sur l'assiduité des pauvres Indiens que toutes les exhortations des bons pères. Comment s'en étonner? Dans l'après-midi, le silence régnait de nouveau à San Pedro, redevenu désert. « Si sauvages que vous les voyez, disait le père Jacopo à Charles, qui s'informait, nos Indiens ont cependant accepté plus d'une prescription essentielle dont l'exacte observation suffit déjà pour nous récompenser de nos peines. C'est ainsi que nous sommes parvenus à introduire la coutume de marier nos catéchumènes très jeunes, les garçons à quatorze ans et les filles à douze ans. Cette coutume moralisatrice a eu pour effet immédiat un accroissement sensible de la population et une diminution très marquée des crimes ayant pour principe les mauvaises mœurs. A quinze ans, le jeune Indien est généralement père; mais il n'a pas pour cela davantage conscience des devoirs que lui impose cette qualité. La faute n'en est pas à son âge; car tel il est à quinze ans, tel il est à quarante. C'est à la déplorable légèreté de son caractère, à la conséquence inhérente à sa nature, qu'il faut s'en prendre. Il aime ses enfants, il les aime jusqu'à l'idolâtrie; mais là s'arrête son dévouement: de formation morale, d'éducation, il n'y a trace.


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