Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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LES C H E R C H E U R S DE

QUINQUINAS

parallèles au principal cours, en lacs latéraux multipliés tout le long de ses rives. Ces furos, — tel est leur nom, — constituent pour chaque voie navigable une sorte de réseau secondaire qui à l'époque des hautes eaux amortit la violence de la crue, et en temps ordinaire forme des voies de pénétration dans les terres. Sur la plupart des affluents de l'Amazone, on observe ainsi des lacs innombrables, d'une étendue parfois considérable, reliés entre eux à la grande rivière par un lacis inextricable de canaux. Souvent même ces canaux se prolongent si loin, qu'ils vont rejoindre ceux d'un autre affluent et les font communiquer entre eux. Cet état de choses tient à la condition essentiellement alluvionnaire de tout le bassin de l'Amazone, par conséquent au peu de pente de son cours; une crue subite, des pluies un peu prolongées suffisent pour tracer ces canaux intérieurs au milieu des extumescences légères qui parsèment l'immense vallée amazonienne. Au bas même des rapides de San Antonio commencent ces lacs de la Madeira, mais avec cette terrible particularité que, le courant portant vers la rive orientale, ces nappes aquatiques sont en quelque sorte le réceptacle de toutes les immondices charriées par la rivière ; en outre, leur niveau n'étant pas le même, il se produit dans certains de ceux qui avoisinent la rive, un abominable amoncellement. Au moment où ils reprenaient leur navigation, nos voyageurs purent constater, dans un bas-fond marécageux, la présence de plus de cinq cents cadavres de gros animaux en putréfaction : cadavres de bœufs, de cerfs, de tapirs, d'alligators, de lamantins, de fauves et de rongeurs, de singes et de poissons, sinistre récolte de la rivière depuis son origine. Ce charnier, qui empestait l'air, devait demeurer jusqu'à ce qu'une crue suffisante eût fait déborder la cuvette qui le contenait et poussé dans le courant toute cette future provende des habitants des eaux. Peu après San Antonio, la balsa de Charles rencontrait les eaux du Jamary, le plus grand des tributaires de la basse Madeira. Son cours, qui pénètre entre les derniers contreforts des Parécis, arrose de fertiles vallées dans lesquelles vivent de nombreuses tribus indiennes, et, chose étrange, ces tribus, bien que réfractaires à toute civilisation, sont d'un caractère assez doux et trouvent moyen de subsister en paix, quoique enfermées entre les Parentintins et les Araras, les plus guerriers, les plus pillards des indigènes de ces régions. A peine plus loin, le rio Tucunaré, sur la rive droite, et le rio Tamandua, sur la rive gauche, viennent juste en face l'un de l'autre apporter leur tribut. Ce double confluent produit sur la rive droite un atterrissement considérable qu'on nomme la « plage du grand fourmilier ». Les eaux la couvraient en partie ; mais dans la saison sèche, au mois de septembre, elle présente une remarquable particularité : toutes les tortues de la contrée s'y donnent rendez-vous pour y pondre leurs œufs.


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