Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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L E S C H E R C H E U R S DE Q U I N Q U I N A S

Une déception attendait les voyageurs. Les rives ne révélaient la présence ni de flottille ni même de barque isolée. Les eaux, déjà hautes, s'opposaient à la montée ; elles ne permettaient que la descente aux embarcations engagées dans le long voyage du Para. Personne non plus au saut de Macaco; mais un peu plus bas, dans un des petits bras torrentueux de la rivière, on découvrit toute une tribu occupée à pêcher au moyen de barrages ingénieusement disposés. On se hâta de rentrer sous bois, et la crainte d'avoir été aperçus ou de signaler leur présence empêchèrent nos voyageurs d'allumer aucun feu ce soir-là. Du fourré où ils s'étaient réfugiés, ils purent apercevoir le campement placé sur la rive droite. A en juger par l'aisance de leurs manières et par la quantité de leurs pirogues, les pêcheurs étaient en nombre. D'énormes arcs accompagnés de paquets de longues flèches suffisaient pour les faire reconnaître. On était en présence d'une horde de Parentintins, les plus dangereux hôtes de ces parages inhospitaliers. Hostiles à toute espèce de communication avec les blancs, ces sauvages Indiens ne sont connus que par leurs rapines et la hardiesse de leurs coups. L'effronterie de ces dangereux routiers est sans bornes. Ils ont un talent infernal pour surprendre une embarcation ou un homme isolé. Ils font leur coup et disparaissent avec une agilité incomparable au milieu des fourrés, emmenant ou mieux emportant leurs victimes sans qu'on ait le temps d'aller à leur secours, sans qu'on puisse les rejoindre dans les épais halliers où ils se cachent. Le sort de ceux qu'ils surprennent ainsi est invariablement le même : l'esclavage le plus rigoureux ou la satisfaction d'un affreux cannibalisme. Aussi, ces rudes fils des forêts vierges inspirent-ils une telle terreur aux Indiens Moxos, — les seuls à peu près qui parcourent ces rivages, — que, dans les endroits périlleux, le campement est toujours établi à la pointe extrême d'un des grands bancs de sable de la rivière, de manière à laisser un vaste espace entre la forêt et les embarcations et à donner quelque répit pour prendre les armes. La plupart des attaques sont du reste si bien conduites, que les archers indiens, cachés derrière les broussailles, ne sont même pas vus des hommes qui sont dans le canot. Elles se produisent presque toujours à la montée, alors que la nécessité d'éviter la force du courant oblige à longer de près la rive et à n'avancer que lentement ; tandis qu'elles sont fort rares à la descente, alors que l'embarcation, placée à trop longue distance, file comme un trait au milieu du fleuve. Ce fut pour la troupe de malheureux une chance favorable de n'avoir point d'embarcation, car ils fussent venus donner en plein dans la bande des Parentintins. Au lever du soleil, on quitta en toute hâte ce dangereux voisinage et l'on reprit fiévreusement la marche ; malgré la faiblesse persistante de leurs jambes, les malades tenaient à honneur de soutenir l'allure.


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