Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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LES C H E R C H E U R S DE

QUINQUINAS

les entraîna, — Dieu sait au prix de quels efforts, — vers une pente assez abrupte qui dominait suffisamment les alentours pour se trouver au-dessus de la zone empestée. En se soutenant les uns les autres, les voyageurs purent faire quelques pas; mais leurs forces trahirent les malades, et ils retombèrent sans pouvoir avancer. Alors Charles ordonna à deux péons de se détacher et d'allumer en toute hâte un violent feu de broussailles, sur le point qu'il avait désigné pour le nouveau campement; puis, à l'aide de ceux qui restaient valides, il prit sous les bras les fiévreux et, tantôt soutenu, tantôt porté, chaque malade atteignit l'un après l'autre la partie saine de la forêt. Faute de couvertures dont on pût les entourer, on roula près du feu les malheureux. On dut attendre ainsi deux jours que le plus fort accès fût passé. Grâce à cette simple médication, une amélioration sensible put être constatée pour presque tous dès la fin de la seconde journée. Chez Simâo pourtant, la fièvre ne cédait pas; l'état du malade parut même s'aggraver; dans la nuit une crise s'empara de lui, et le pauvre Indien fut en proie au délire. Comme le soleil se levait, un peu de calme reparut; ce fut de courte durée. Deux heures après, le visage du malade se couvrit tout à coup de taches livides marbrées de plaques noirâtres. En l'examinant, Charles fut effrayé; il crut reconnaître les signes d'une de ces terribles fièvres paludéennes qui enlèvent un homme en quelques heures. Il ne se trompait malheureusement pas. A peine avait-on pu être fixé sur la nature de son mal, qu'un violent spasme secouait le malade et que sa vie s'exhalait en un dernier soupir. Si endurcis qu'ils fussent à leurs propres misères, les camarades du pauvre péon se sentirent impressionnés par cette mort si rapide, au fond de la forêt, loin de tout secours, sans que l'infortuné eût eu le temps de se reconnaître. Un devoir impérieux s'imposait à Charles et dominait toutes les réflexions que cette fin pouvait suggérer. Il fallait faire disparaître au plus tôt ce cadavre qui, encore chaud, entrait déjà en décomposition et constituait une terrible menace par suite du mal auquel il avait succombé. Dans cette atmosphère saturée de chaudes vapeurs, remplie de germes malfaisants, il y avait un danger extrême à laisser la mort faire tranquillement son œuvre. D'autre part, la situation présentait des difficultés insurmontables à des gens dénués comme l'étaient nos fugitifs. Ils n'avaient aucun moyen de creuser une tombe à leur compagnon dans ce sol à moitié composé de rochers; l'opération eût exigé un temps que la rapidité de la décomposition ne permettait point de prendre. On ne pouvait défendre le cadavre contre la profanation des animaux au moyen d'un simple rempart de pierres : c'eût été une barrière à claire-voie contre ses émanations pestilentielles. Les malades de la troupe ne pouvaient avant plusieurs jours gagner un autre point salubre, et quelques heures suffisaient pour déchaîner sur les survivants la plus dangereuse épidémie.


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