Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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LES C H E R C H E U R S DE Q U I N Q U I N A S

toiture de la barbacoa fut emportée, l'embarcation elle-même était lancée vers la rive droite sans qu'on pût modifier sa direction; une sorte de lame sourde la soulevait d'un côté, menaçant de la renverser. Au risque de se noyer, tout le monde se porta du même côté, pour faire contrepoids. En même temps une bourrasque d'une violence inouïe couchait les géants de la forêt comme de simples tiges de blé ; les oiseaux étaient emportés dans l'air comme des projectiles, sans pouvoir faire le moindre usage de leurs ailes: un choc, une bousculade, e,t nos gens se retrouvèrent sur une grève, lancés hors de leur embarcation, sans qu'ils eussent eu le temps de se reconnaître. Tout autour d'eux le sol était jonché de branches énormes, de cadavres d'oiseaux assommés contre les obstacles, tandis que nombre d'échassiers, le bec ancré dans le sable, présentaient leur corps allongé dans le sens du vent pour lui laisser moins de prise. Par bonheur, l'échouage s'était produit dans un endroit favorable ; cinq cents mètres plus bas, les malheureux eussent été broyés contre les racines de gigantesques bombax et des cacaoyers sauvages qui couvraient toute la rive. Ils n'eurent même pas à déplorer la perte d'aucun de leurs pauvres bagages. Le soin que Charles avait de toujours veiller à ce qu'ils fussent parfaitement fixés avec des liens préserva cette fois les fugitifs d'une ruine certaine. Mais leur situation n'en était pas meilleure. Tandis qu'ils s'occupaient de réparer le désordre de la tempête et qu'ils rebâtissaient l'abri de leur balsa, deux étranges canots apparurent à petite distance, manœuvrés avec une singulière habileté par deux Indiens, tandis que, dans chacun d'eux, se tenait fièrement debout un guerrier appuyé sur sa lance de chonta. Les hommes et les pirogues n'étaient pas moins dignes d'attention par leur simplicité naturelle. Les hommes, forts et robustes, portaient pour tout costume celui qu'ils tenaient de la nature même. Leur cou était orné d'un collier à plusieurs rangs de coquillages et de pierres; la chevelure, coupée ras à la hauteur des yeux et des oreilles , tombait en désordre sur leurs épaules et était surmontée d'une coiffure de plumes magnifiques dont les plus belles s'allongeaient sur le dos avec les mèches de leur crinière ; dans les lobes de leurs oreilles étaient passées des défenses de pécaris polies avec soin. La cloison de leur nez portait aussi des ornements : plusieurs avaient un tube de couleur d'ambre; les autres, un brin de roseau terminé par deux houppes de plumes fines comme du duvet; le haut du bras était serré dans un bracelet de pierre. Leur menton projeté en avant, leurs lèvres épaisses et leur nez saillant, donnaient à leur physionomie un air de dureté accentué par la grosseur de leurs yeux. Leurs pirogues étaient des chefs-d'œuvre de construction primitive. La matière en était empruntée à l'écorce lisse d'un des figuiers de la forêt. Le cylindre dont on avait dépouillé l'arbre avait été ouvert par une


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