Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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LES C H E R C H E U R S DE

QUINQUINAS

Voyant qu'il avait brûlé sa dernière charge, il en avait fait demander à Manaos par une embarcation passée devant sa hutte depuis trois semaines. S'il y avait possibilité de trouver des munitions à Manaos, il les recevrait avant trois mois; il serait alors approvisionné pour la fin des pluies. « Ce qui suffisait, » ajoutait-il placidement. Si Manaos ne lui envoyait rien, il recevrait du Para, dans six mois, ce qu'il attendait si patiemment. A défaut du fusil, il avait son arc et sa sarbacane, qui lui convenaient tout autant. Remigio semblait un fataliste à sa façon. Il comptait sur la mémoire des gens pour lui envoyer en objets manufacturés, quand il en avait besoin, le prix de ses services. Chose étrange, à peine croyable pour qui connaît le caractère méfiant de l'Indien, le système réussissait à Remigio. Rarement il était impayé. Souvent il attendait des mois, parfois des années, le payement de la dette; elle finissait toujours par être acquittée. Au moment le plus inattendu, quelque embarcation était chargée de déposer à la case une poignée d'hameçons, un sac de clous, une scie ou des haches; parfois c'était une caisse de chandelles ou de liqueurs d'Europe qui venait s'échouer ainsi sous le tambo de l'Indien. Habitué à vivre au jour le jour, ce singulier anachorète, ce bizarre bienfaiteur de ses semblables , ne songeait nullement, en fait de services, qu'à ceux du moment présent. Il ne lui était jamais venu à la pensée de se munir de vivres en quantité suffisante pour être utile. Il ne comprenait pas l'utilité d'en amasser, puisque la rivière et la forêt surabondaient de ressources. Il fut même surpris quand Charles, lui montrant quelques boîtes métalliques contenues dans son armoire, lui apprit qu'elles contenaient des conserves alimentaires. Dans ces envois parvenus de divers points, s'étaient trouvées quelques boîtes de sardines de Nantes et de conserves de Chicago : le brave Remigio en ignorait l'usage ! Aussi ce fut sans difficulté qu'il les céda à son visiteur. Il lui céda également une petite provision de clous et une hache américaine qui semblait provenir d'une excellente fabrique. Mais ce qui fut autrement précieux que ces objets, ce fut la suite de renseignements circonstanciés qu'il put fournir sur le parcours de la Madeira: Remigio la connaissait si bien! Pour mettre le comble à ses bons offices, le solitaire s'offrit à conduire la balsa à travers les obstacles du Paredao, qui grondait à dixsept kilomètres plus bas. Au moment où l'embarcation approchait d'une rivière que Remigio dit être le rio dos Ferradores (des forgerons), on entendit dans les bosquets du bord comme le bruit de marteaux tombant régulièrement sur l'enclume. Chacun se regardait étonné. L'Indien apprit alors que ce bruit est produit par le cri d'une espèce d'oiseaux très abondants sur ce point, et que le nom de la rivière provient précisément de l'illusion dans laquelle ne manquent jamais de tomber ceux qui passent en cet endroit.


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