Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

Page 198

198

L E S C H E R C H E U R S DE QUINQUINAS

et que l'impulsion avait été suffisamment forte pour tirer l'embarcation du mauvais pas. Leur première journée avait été singulièrement rude; ils avaient franchi deux des cachoeiras, comportant quatre obstacles. Aussi bien l'endroit semblait inviter à prendre un peu de repos. Charles décida de passer là deux jours afin de se préparer à franchir le Ribeirao, la plus dangereuse et la plus pénible de toutes les cachoeiras de la rivière. On devait en profiter pour essayer de renouveler les vivres, qui s'épuisaient. Armés de leur sarbacane, ils battirent les bois et furent assez heureux pour tuer deux singes de l'espèce des guaribas ou singes hurleurs; mais l'un d'eux resta suspendu par sa queue. Il fallut aller le chercher à une hauteur de vingt mètres, dans l'enfourchure d'un grand siphonia. Charles put apprécier en cette circonstance tous les avantages de l'arme qu'il avait tant désirée ; il comprit pourquoi les Indiens, même ceux qui sont en communication avec les blancs, ne montrent pas un grand goût pour les armes à feu qui leur sont offertes et s'en tiennent à leur armement primitif. Un coup de feu dans la forêt jette le trouble dans une zone qui s'étend bien au delà de celle où le bruit a été perçu; la panique des animaux, mis en fuite par la détonation, se communique à ceux qu'ils rencontrent, et il suffit de quelques chasseurs pour plonger dans la solitude le canton le plus giboyeux de la forêt vierge. De plus, le fourré est si épais, qu'à moins de le tuer net l'animal atteint est perdu la plupart du temps. Les singes, qui forment une des bases alimentaires dans la forêt vierge, sont d'une poursuite extrêmement difficile; ils franchissent en se jouant les obstacles les plus ardus et échappent bientôt à toute entreprise du chasseur. Avec la sarbacane, qui envoie sans bruit sa petite flèche enduite de curare, un chasseur atteint souvent l'un après l'autre tous les animaux d'une bande sans que leurs compagnons se doutent de leur sort. Le curare « tue en silence », dit judicieusement l'Indien. C'est pourquoi il conserve avec obstination ce primitif mais infaillible instrument de mort. Aussi rien ne saurait rendre le soin qu'apportent les indigènes dans la fabrication de leur pucuna ou sarbacane. Cette arme consiste en une gaule de bois longue de cinq à sept pieds, ayant la grosseur d'un canon de fusil de gros calibre. Pour la fabriquer, les Indiens prennent une tige de chonta, sorte de palmier contenant une moelle analogue à celle du sureau. Ils fendent en deux le sujet choisi et vident complètement chacune de ses moitiés de la moelle qu'elle contient. Cela fait, ils polissent ces deux demi-canons avec autant de soin et beaucoup plus de temps que n'en prend un armurier pour polir un canon de fusil. Quand chaque moitié est lisse à l'intérieur comme un miroir, ils les rapprochent l'une de l'autre de façon à les réunir en une seule gaule;


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.