Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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L E S C H E R C H E U R S DE

QUINQUINAS

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ne vous force à l'adopter; si vous le jugez mauvais, présentez-en un meilleur; mais je suis, quant à moi, convaincu de sa supériorité. » Charles parlait avec un accent si convaincu, il réfutait si bien toutes leurs objections, que Guttierez et de Contisaya, ne trouvant rien de sérieux à opposer au plan développé, déclarèrent qu'ils s'abandonnaient à la direction de leur jeune camarade. Quant aux péons, un seul, Pablo, tenta quelques observations. Loin de les repousser, Charles les accueillit avec la même déférence que celles de ses compagnons blancs et y répondit avec autant de soin. Ce procédé eut un plein succès et frappa fortement l'esprit des péons, peu accoutumés à de telles marques de considération. Lorsque, sur les instances de Charles, ils durent émettre leur avis et faire connaître leur décision : « Le maître a parlé, dirent-ils; nous suivrons le maître. » C'était la reconnaissance complète de son autorité sur eux. Ces graves résolutions une fois prises, on remit les radeaux à l'eau. Au dire des péons, ils pouvaient encore durer un jour ou deux sans trop de danger pour les passagers; mais il faudrait ensuite les remplacer. En raison même de sa légèreté, le bois de toroh ou cecropia absorbe l'eau assez rapidement et ne peut supporter une longue navigation. Or il y avait déjà dix jours que les radeaux de nos voyageurs avaient été mis à l'eau. Toute la matinée s'écoula sans qu'on eût rien aperçu de suspect ; les fugitifs reprenaient courage. L'ardeur communicative de Duret transformait en quelque sorte ces hommes. Tout en pagayant, il leur développait ses idées pour le salut de la caravane, et prenait même texte de l'état favorable de la rivière pour leur démontrer, dans son optimisme un peu exagéré, que leurs misères ne sauraient durer. L'aspect de la contrée semblait justifier ces espérances, tant le spectacle était enchanteur. Bien que rapide encore, le cours du Béni était considérablement calmé. Il coulait, on peut dire, au milieu de plaines et de vallons où la nature semblait en fête. Des arbres géants, siphonias et bombax, qui bordaient ses rives, retombaient mille festons fleuris. Leurs masses serrées étaient dominées par la cime arrondie de nombreux sujets de cette utile artocarpée qu'on nomme l'arbre à lait. D'innombrables arbustes, chargés de fleurs et de parfums, penchés sur les eaux comme pour leur faire cor tège, donnaient aux flots les reflets d'une riche palette. Dans des étranglements où le courant accélérait sa marche, les bras immenses des grands arbres semblaient se rechercher, se tendre la main d'une rive à l'autre. Dans les ogives, dans les coulées aériennes pratiquées à travers l'admirable lacis des lianes, le soleil pénétrait à pleins rayons, fouillant d'un violent coup de lumière jusqu'au fond de ces cavernes feuillues. Coupant l'air de leur éblouissante traînée, les grands papillons aux ailes d'azur


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