Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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L E S C H E R C H E U R S DE

QUINQUINAS

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tenta de faire un mauvais parti à son complice. Abasourdi d'un dénouement si inattendu, l'honnête gouverneur dut prendre quelque temps pour remettre un peu d'ordre dans ses idées. Rappelé enfin à lui par les invectives de son ami, il releva la tête, et un sourire d'étrange satisfaction éclaira son visage. José Benito, prenant ce sourire pour une bravade, se mit à redoubler d'injures, tant et si bien que le gouverneur, sortant de son calme à son tour, riposta pareillement. La querelle aurait pu durer longtemps, si un Indien ne fût venu prévenir le haut fonctionnaire qu'un des étrangers demandait à lui parler. Alors qu'il s'attendait à la visite de Duret, le gouverneur vit venir à lui Mamani. Le cascarillero lui apprit que ses compagnons avaient quitté précipitamment le village, — ce qui assombrit visiblement le front du trop habile corrégidor, — mais que ses camarades et lui avaient refusé de les suivre. Animés du plus vif désir de regagner leur pays, il venait demander au seigneur gouverneur de leur en faciliter les moyens, et, mettant en avant leur qualité de compatriotes, il développa de son mieux cette thèse qu'on pouvait justifier le refus opposé à des Péruviens, mais qu'on ne saurait admettre le même traitement pour des Boliviens. « Tout ceci demande réflexion, lui répondit le gouverneur; reviens plus tard, et je te répondrai. » Puis, avant de rejoindre son compère Benito, qui l'attendait sur le balcon de la véranda, il se mit à penser. Lorsqu'il eut fixé ses idées, il apprit à Benito ce qu'il avait entendu. Celui-ci voulait qu'on mît tous les guerriers du village sur la trace des fugitifs et qu'on leur fît payer cher l'outrage fait à la dignité du gouverneur de San Bonaventura, ainsi que le tort causé à son petit commerce. Le rusé fonctionnaire le laissa dire ; puis, quand il eut épanché sa bile : « Ils reviendront d'eux-mêmes, dit-il; ils reviendront bientôt. Comment des blancs pourraient-ils s'aventurer seuls? La faim les ramènera. Ils imploreront avant peu ce marché qu'ils refusaient. Nous n'en gagnerons que davantage, les conditions ne pouvant plus être les mêmes. Mettre les guerriers sur leur piste, c'est dévoiler nos projets échoués, c'est nous priver des bénéfices espérés. » La lucidité de ce raisonnement était faite pour persuader l'avide Benito. On convint de taire l'aventure et de laisser les langues du pueblo aller leur train sur les causes du départ précipité de la caravane. Quant aux cascarilleros, quelques bonnes paroles suffiraient à se débarrasser d'eux. Cependant Mamani ne tarda pas à reparaître ; persuadé de ne pouvoir leur apporter qu'une réponse favorable, il avait par avance convaincu ses camarades de la réussite de ses démarches. Aussi sa surprise toucha-t-elle à la stupéfaction, quand le fonctionnaire lui fit très nettement savoir qu'il était tenu, par les ordres les plus formels du préfet de Béni, de ne traiter en aucune circonstance avec des


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