Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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L E S C H E R C H E U R S DE QUINQUINAS

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Le gouverneur s'excusa en affirmant que les négociations lui avaient été fort difficiles quand il s'était agi d'avoir des embarcations, et que, pour lui assurer des rameurs, il avait même dû user de sa haute autorité en lui donnant pour équipage des délinquants d'ordre public, auxquels il imposait comme punition l'obligation de ce voyage. Quand tous ces points furent réglés, Charles prévint qu'il allait revenir avec ses hommes prendre livraison des provisions. « Dont vous voudrez bien auparavant me remettre la valeur, avait répliqué l'autre d'un ton paterne. — Mais vous n'ignorez pas que je suis sans ressources et que le payement promis ne peut se faire ici? — Le seigneur cavalier ne voudrait certainement pas qu'après lui avoir servi d'obligeant intermédiaire, un pauvre Indien comme moi fût contraint de payer pour son compte. Un malheur peut survenir, et mes amis me réclameraient le prix de leurs denrées; il me serait impossible de m'acquitter. » Charles ne voyait pas encore où son interlocuteur voulait en venir ; cependant sa prétention était si intempestive, qu'il ne put contenir son humeur en lui répliquant qu'il connaissait parfaitement sa pénurie quand il avait consenti à traiter pour lui, et qu'il devait par conséquent admettre pour ses amis un payement ultérieur. « J'ai fait valoir votre situation, et je la comprends si bien, que je ne me suis pas trouvé arrêté par elle ; mais je ne puis empêcher d'autres de formuler leurs prétentions. Je me borne à vous les transmettre ; libre à vous de les repousser ou de les accueillir. — Mais enfin, finit par dire Charles Duret, que prétendent vos amis? » Alors, après mille circonlocutions, après avoir cent fois hésité, semblant près de prononcer le mot, puis, au moment de le dire, se dérobant à distance pour revenir un peu plus près de son objectif, s'en rapprochant en quelque sorte imperceptiblement, le gouverneur lui exposa enfin combien un de ses amis serait fier de pouvoir, les jours de fête, éblouir ses compatriotes et marquer sa supériorité en tirant quelques salves de mousqueterie. L'occasion de se munir d'armes à feu est si rare dans ces contrées reculées, les voyages jusque dans les villes des hautes terres sont si difficiles, que la vue du fusil de Charles avait éveillé en lui un désir qui avait pu seul lui faire braver la désapprobation de ses concitoyens en vendant ses provisions à des Péruviens. La même obsession s'était emparée d'un autre à propos du revolver. Bref, faisant grâce au lecteur des circonlocutions du corrégidor, nous dirons qu'on réclamait à Charles, à titre de simple acompte, l'abandon de ses armes. Quand le jeune homme eut enfin compris, il bondit comme un furieux ; il allait faire un mauvais parti au gouverneur si l'air impassible


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