Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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L E S C H E R C H E U R S DE

QUINQUINAS

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de Charles, deux machetes, une hache, une demi-douzaine de couteaux sauvés des mains des Siriniris, un puncho délabré. Un pauvre diable auquel les sauvages avaient laissé sa veste offrit ce vêtement, — quel vêtement ! — assurant qu'il serait suffisamment à l'abri avec la chemise ou plutôt le lambeau qu'il portait en dessous. Entraînés par cet exemple, deux autres déposèrent sur l'autel du sacrifice les chaussures (!) qu'ils avaient eu la bonne fortune de garder à leurs pieds, en dépit des sauvages et des brutalités de la route. L'examen de leurs ressources, tout décourageant qu'il était, ne constituait pas moins une opération nécessaire. Il fut arrêté que chacun des blancs et Belesmore s'emploieraient pour aller de hutte en hutte trafiquer de leur mieux. A leur grande surprise, ils ne trouvèrent personne dans les premières cabanes où ils entrèrent. Si les hommes étaient partis soit à la chasse ou à la pêche, soit à leurs cultures, du moins les femmes et les vieillards avaient dû rester. La chose était étrange. Ils explorèrent ainsi plus de vingt demeures. Enfin, dans une de celles qui terminaient la place, on rencontra deux femmes qui répondirent ne pouvoir rien vendre, parce qu'elles ne possédaient aucune provision. Dans plusieurs autres maisons on leur fit la même objection; cependant Belesmore déclarait avoir parfaitement vu un tas de manioc, derrière une cloison de roseaux, dans plusieurs chaumières. C'était à n'y rien comprendre, surtout dans une localité si largement pourvue la veille. Quelque mystère voulu devait se cacher sous ces refus répétés. Charles résolut d'en avoir le cœur net; il se rendit chez le gouverneur lui exprimer tout son étonnement d'une pareille pénurie. « Elle se comprend fort bien, répondit le fonctionnaire d'un ton rogue. Le pueblo s'est trouvé en fête ; chacun a épuisé ses vivres et est allé les renouveler. » Si plausible que fût l'explication, Charles n'en était pas moins convaincu qu'une sorte de complot était organisé contre lui, soit pour lui refuser des vivres, soit pour l'exploiter. Deux heures après il reparaissait chez le gouverneur. La colère qu'il avait amassée à froid avait atteint son paroxysme. Sans plus de préambule il lui posa ses conditions, qu'il eut toutes les peines du monde à formuler sans sortir de son calme. « Puisqu'on ne veut pas nous vendre, nous prendrons ce dont nous aurons besoin, et malheur à qui s'y opposera! Nous donnerons ce que nous possédons, hormis nos armes, et nous souscrirons des engagements qui passerons par vos mains. » En présence de cette attitude, l'indifférence plus ou moins réelle du gouverneur s'atténua légèrement. Il promit à Charles d'intervenir auprès de ses amis personnels pour les décider à livrer quelque chose ; il l'engageait à le revoir au coucher du soleil.


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