Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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L E S C H E R C H E U R S DE

QUINQUINAS

D'après ses explications, trouvant l'eau insuffisamment claire à l'endroit où il lavait son manioc, il était allé à quelques pas plus loin. Ayant les deux mains employées, il avait négligé la précaution élémentaire, sans cesse recommandée par Charles et par le guide, de toujours sonder l'eau devant soi au moyen d'un bâton. La mauvaise chance avait voulu qu'il mît précisément le pied sur une de ces raies dont les eaux américaines sont peuplées et qui font, avec le dard aigu dont leur queue est armée, des blessures excessivement dangereuses. La catastrophe de l'Inambari avait encore privé la caravane de tout moyen de pansement, la petite pharmacie de Duret étant restée au fond de l'eau avec la caisse aux instruments. Les remèdes faisaient donc défaut. Tandis que faute de mieux Charles exprimait sur la plaie, à titre de cautérisant, le jus de quelques yuccas sauvages et bandait la jambe avec un lambeau de chemise, un des péons revint, apportant une poignée de duvet cotonneux, brun, qu'il avait récolté sur l'un des puissants mimosas entourant la lagune. C'étaient des nids d'une fourmi d'un beau vert émeraude, la formica spinicolis, qui fournissent aux Indiens un hémostatique puissant auquel ils donnent le nom d'amadou de fourmi. L'anxiété déjà répandue sur le visage de Quispé fit place à un sourire de satisfaction témoignant de sa grande confiance en l'efficacité du remède. Connaissant tout le danger des blessures faites par ces raies, Charles avait décidé que la caravane demeurerait là jusqu'au lendemain. Le campement était admirable. Le blessé pourrait reprendre ainsi quelques forces, en même temps que les hommes trouveraient un repos des plus utiles. Vers le soir, Quispé fut saisi par la fièvre, malgré l'amélioration apparente qui avait suivi le pansement. A mesure que la nuit approchait, l'accès alla augmentant à ce point qu'il fallut le veiller. Quelques moments après le lever de la lune, il se plaignit du froid; puis, de rouge qu'il était, son visage devint pâle; enfin il se couvrit de sueur. Des frissons secouèrent le malade, des plaques d'aspect marbré parurent sur différentes parties du corps. En même temps, la jambe devenait insensible et enflait visiblement. Puis la fièvre reparut avec un redoublement de violence. Elle tomba au bout de deux heures pour faire de nouveau place aux frissons et à la transpiration. En même temps la parole s'embarrassait. La situation était tout à fait grave. Toute la nuit s'écoula dans ces alternatives de fièvre et de frissons. Quand le jour se leva, il était manifeste que Quispé était perdu et que tout le dévouement de ses camarades, privés de secours médicaux, était inutile. Le poison distillé par la terrible raie avait trouvé, pour ses fou-


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