Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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LES C H E R C H E U R S DE Q U I N Q U I N A S

peuple sont coqueros, c'est-à-dire consommateurs de coca. Quelques-uns en sont fanatiques, au point de rejeter presque toute nourriture ; dans ce cas, il y a un excès qui détruit la santé; mais en général l'usage modéré de la coca n'a rien de nuisible et ne produit pas les résultats morbides de l'opium, ni même du tabac. Le principe actif de la plante chère aux Péruviens, la cocaïne, ne constitue pas, ainsi qu'on l'a cru pendant longtemps, un aliment d'épargne, selon l'expression médicale; c'est plutôt un anesthésique, qui agit sur les papilles stomacales et empêche de sentir les douleurs de la faim. Son action est un peu analogue à celle de l'alcool, qui donne un « coup de fouet » au buveur, au détriment de l'organisme en général. L'énergie qu'elle procure n'a pas une longue durée, car elle ne dépasse guère quarante minutes, à peu près le temps nécessaire à franchir deux ou trois kilomètres. Aussi les indigènes ont-ils pris comme unité de mesure du temps la cocada, c'est-à-dire le délai nécessaire à la mastication d'une petite boule formée d'une demi-douzaine de feuilles de coca. Ils ont une telle habitude de cet exercice et ils y apportent une telle précision, que l'on peut vérifier, montre en main, la régularité presque mathématique avec laquelle ils renouvellent l'opération. L'Européen encore peu au fait de ces habitudes locales éprouve un réel étonnement quand il voit le chef de file de sa caravane s'arrêter en pleine marche, sans cause apparente. C'est le moment de la cocada ; et il n'y a pas de motif ni de raison qui fasse continuer leur route à ses porteurs. Alors chacun tire d'une sorte de blague pendue à son cou quelques feuilles de coca et se met à les mâcher; puis, avec les dents, la langue et les lèvres, il en forme une petite boule qu'il roule plusieurs fois dans sa bouche. Cette préparation achevée, il ouvre une petite gourde attachée par une lanière de cuir et fermée par une cheville de bois servant de tête à une épingle qui plonge jusqu'au fond ; il en passe la pointe sur ses lèvres, l'enfonce dans la gourde et la retire couverte d'une poudre blanche qui n'est autre chose que de la chaux vive pulvérisée. Les raffinés remplacent la chaux par des cendres de mollé ou bananier, que beaucoup apprécient davantage. Ramenant l'épingle à sa bouche, le coquero en traverse en tous sens la boule délicatement posée sur sa langue, évitant avec soin le contact corrosif de la chaux, puis il replace son épingle dans la gourde après l'avoir soigneusement essuyée. On repart aussitôt, en ruminant avec calme ce mets singulier. Quarante minutes après on recommence. Nos piétons n'avaient pas terminé leur seconde cocada depuis qu'ils avaient franchi le puerto, qu'ils aperçurent devant eux, à une heure de chemin à peine, l'hacienda de Titamarca, dont les nombreux bâtiments s'étendaient sur une plate-forme dominant légèrement les alentours. Cette agréable découverte eut pour effet immédiat d'accélérer la marche des voyageurs ; la perspective d'un gîte et d'un souper de


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