Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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L E S C H E R C H E U R S DE

QUINQUINAS

étaient les deux péons, qui criaient comme des écorchés et pleuraient comme des enfants; mais il n'aperçut pas Duret. Quand il eut repris ses sens, Telesphore réfléchit et jugea bon d'attendre que le jour fût un peu plus haut pour juger de la situation. Il était fortement endolori ; mais il constata, non sans plaisir, qu'il n'avait aucun membre brisé. Une demi-heure après, une première flèche d'or, dardant à travers les arbres du rivage, déchira le voile nébuleux de la rivière et permit à Telesphore d'apprécier la situation. La violence de la chute avait rejeté et roulé les naufragés au milieu d'un dédale de roches aiguës. Par un hasard providentiel, Telesphore s'était trouvé porté sur une sorte d'îlot; mais, pour gagner la rive, il fallait franchir une assez longue distance à travers les blocs émergeant des ondes furieuses. Le bruit de la cascade couvrant sa voix, Telesphore cria à ses camarades ses projets et leur conseilla, s'ils voulaient sortir de ce mauvais pas, de compter seulement sur eux et d'imiter ses mouvements. Puis, sondant chaque point douteux, sautant, nageant tour à tour, il parvint à gagner le rivage. Moins adroits et surtout plus effrayés que lui, les péons auraient certainement péri noyés sans le soin avec lequel il les dirigeait de la rive. Quand les trois compagnons se trouvèrent réunis, leur première préoccupation fut de retrouver Duret. Ils appelèrent, ils scrutèrent la rive; mais rien n'apparaissait, aucun cri ne répondait à leur appel. Après de longues recherches, ils en étaient réduits à se demander si leur malheureux chef avait péri ou si, au contraire, il avait atterri de l'autre côté. Toutefois le silence de l'autre rive n'était pas fait pour entretenir cet espoir. Le soleil brillait alors de tout son éclat; Telesphore et les péons, brisés par la fatigue, las d'explorer les bords de la rivière, s'étaient allongés au pied d'un arbre dominant l'ensemble des tourbillons. Fascinés par le spectacle de ce chaos, ils regardaient s'entrechoquer les eaux mugissantes, lorsqu'un des péons signala au milieu des flots d'écume quelque chose d'un aspect singulier. Il lui semblait voir quelque touffe végétale ou quelque cadavre que les remous prenaient, rejetaient, reprenaient, puis repoussaient sans cesse. La même pensée leur vint à tous : Serait-ce le corps de Duret? A la distance où ils se trouvaient, et par suite de l'agitation des eaux, il leur était impossible de préciser. Un moment l'objet disparut complètement, et ils purent croire que quelque tourbillon l'avait enveloppé et livré au courant. Déjà ils n'y songeaient plus que comme à une espérance évanouie, lorsque, au centre d'un bassin où les vagues étaient relativement calmes, ils virent un homme s'élever du sein de l'eau, puis, arrivé à mi-corps, se laisser couler. « Le chef! » s'écrièrent-ils tous ensemble, saisis d'effroi.


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