Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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L E S C H E R C H E U R S DE Q U I N Q U I N A S

refusèrent, prétextant que, n'étant pas approvisionnés de vivres et l'endroit n'offrant aucune ressource pour la chasse, il leur fallait trouver avant la nuit un territoire plus favorisé; qu'ils entendaient, par conséquent, recevoir immédiatement le payement promis par le chef. Charles n'avait en quelque sorte pas eu le temps de concerter sa réponse avec ses compagnons que, sur un signal donné par le déserteur des guides, les sauvages se précipitaient sur lui et ses hommes, les prenaient corps à corps et s'efforçaient de leur arracher leurs armes, leurs vêtements, leurs bagages. Par une chance heureuse, Charles, surpris par cette brusque attaque, put néanmoins dégager son bras, saisir son revolver, et, tirant sans viser, il fit lâcher prise à l'un de ses adversaires. Au bruit des détonations, à la vue d'un des leurs gisant sur le terrain, les Siriniris, saisis d'une terreur folle, s'écartèrent et disparurent sous le couvert. En effet, les gens de cette tribu ont une peur extrême des armes à feu; ils leur attribuent le pouvoir de tuer selon la volonté de leur possesseur, même étant déchargées. La vue des quelques fusils de la petite troupe les avaient tenus à distance depuis qu'ils suivaient tous ses mouvements; mais ils avaient formé le projet de dépouiller les blancs et comptaient y arriver en se présentant en amis. Leur plan aurait pu réussir au moment où, affolés de désirs, ils s'étaient jetés sur la troupe de Charles, si le coup de feu tiré par lui n'avait eu pour effet de semer parmi eux l'épouvante. On utilisa leur retraite précipitée pour recueillir les différents objets et les vêtements dont ils s'étaient déjà emparés et qu'ils avaient abandonnés dans leur fuite. Les péons, tremblants de terreur, se groupèrent docilement près des ajoupas, et acceptèrent sans trop murmurer de se coucher sans souper. On ne ferma par l'œil de la nuit; la crainte d'un retour offensif tenait chacun éveillé. Cependant la forêt semblait tranquille; les bruits nocturnes qui la remplissent d'habitude fournissaient leur concert accoutumé de hurlements des singes, de cris de cougouars, de hululements, de chants d'oiseaux. On pouvait croire les Siriniris disparus. Tout à coup, au moment même où l'aube ramène comme par enchantement le calme dans la forêt, un cri d'oiseau se fit entendre sur la lisière du fourré; puis apparurent quelques têtes de Siriniris, coiffés cette fois de splendides couronnes en plumes de perroquets. Sans se découvrir, ils agitèrent à travers le feuillage des aras apprivoisés, des paquets de plumes, quelques menus produits de leur industrie, indiquant par là des intentions pacifiques. Voyant qu'on ne répondait pas à leurs avances, mais qu'on ne les repoussait pas non plus, ils s'enhardirent peu à peu et furent bientôt à quelques pas des blancs, offrant toujours leurs plumes et leurs oiseaux. La perplexité de Charles était extrême; il s'aperçut bientôt que les nouveaux venus n'étaient pas les individus de la veille, et cette profu-


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