Les chercheurs de quinquinas : des vallées de Caravaya à l'Amazone

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L E S C H E R C H E U R S DE

QUINQUINAS

grossier berger lui donnera l'hospitalité ne trouvera pas chez son hôte d'autre combustible. On lui montrera avec fierté des piles de sacs pleins de bosta patiemment récoltée dans la puña, et il remarquera tout autour du foyer, s'interposant entre lui et la chaleur du feu, un rempart savamment édifié de déjections qui achèvent de se dessécher avant d'être en mesure de faire cuire les repas de la famille. Ce fut presque sans mot dire que le souper fut absorbé ; puis, s'étant roulé dans la couverture encore mouillée qu'il avait en bandoulière, chacun se rapprocha le plus possible du feu, tandis que l'homme de veille ajoutait quelques galettes de bosta à celles qui achevaient de brûler. A peine les brouillards du matin eurent-ils remplacé le froid sec de la nuit, que les voyageurs furent sur pied; et le jour n'était pas encore levé que le campement était abandonné. Ils avaient tout à gagner en combattant par l'exercice de la marche la pénétrante humidité qui s'ajoutait aux glaces nocturnes. Lorsque les premiers rayons du soleil eurent dissipé le rideau de vapeurs flottant dans les vallées, la petite troupe put voir se dérouler une fois de plus sous ses yeux l'immense panorama toujours saisissant, quoique monotone, écrasant par son immensité, mais fastidieux par son uniformité, des montagnes andines : au loin, les volcans et les hauts sommets neigeux émergeant de l'interminable chaîne, sortes de bastions gigantesques dominant de fantastiques murailles; puis, tout autour, aussi loin que le regard pouvait s'étendre, la même pauvreté de végétation, les mêmes accidents de terrain, et cette physionomie morne et désolée qui caractérise les régions où le feu et l'eau ont tour à tour imprimé leurs traces. Depuis six longues heures déjà nos hommes suivaient une sorte de sillon où le soleil, démasqué, dardait des rayons de feu, quand, au détour d'un rocher, ils aperçurent une silhouette humaine se profilant immobile sur le bourrelet pierreux du chemin. A quelques pas plus loin était un groupe qu'ils reconnurent pour une femme accompagnée de deux enfants; des moutons et des lamas paissaient sous la surveillance de la famille et d'un roquet maigre et rageur, qui hérissa son poil en aboyant avec fureur à l'aspect des passants. Si rares que fussent les voyageurs dans ces régions désolées, l'homme fit semblant de ne rien voir, et, debout sur un quartier de roche comme une statue sur son piédestal, continuait de jeter aux échos de la cordillière les modulations de son pincullu, ou flûte à trois trous. Plus curieuse, la femme suspendit le mouvement du fuseau qu'elle tournait chargé de laine, et les enfants laissèrent les cailloux qu'ils s'exerçaient à lancer dans les pattes de leurs animaux avec une adresse qui promettait pour l'avenir des artistes en ce genre de sport. Son air fini, le rustique gardien daigna calmer d'un coup de pierre les aboiements féroces et prolongés de son chien ; alors les voyageurs,


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