Musique coloniale et société à Saint-Domingue dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Vol.1

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de l'époque coloniale, et qu'une évolution s'est faite sans que l'on en connaisse le détail ailleurs qu'au Cap. Dans le spectacle du Cap, en effet, les libres n'occupent que l'arrière de l'amphithéâtre lors de l'inauguration de la salle en 176635. Ils occuperont des loges plus tard, à une date inconnue mais antérieure à 1775. En effet, c'est à cette date que Moreau plaide, à leur demande, pour l'admission des Négresses Libres au spectacle 36 et ce sont les Mulâtresses qui refusent à ce moment là tout mélange de couleur, introduisant cette ségrégation à l'intérieur de la ségrégation, comme cela se fait à la même époque à Saint­ Pierre de la Martinique (voir chap. 23). Les places de l'amphithéâtre, traditionnellement plus favorisées, ne sont curieusement pas mentionnées à part dans les prospectus restants. Le parterre, lieu traditionnel de la fraction la moins aisée du public, est partout assis, sauf à Léogane où une partie reste debout37; les places y sont moitié moins chères qu'aux premières loges. Les théâtres ont donc une disposition à peu près identique et la taille des salles de Saint-Marc et de Léogane semble l'explication la plus plausible de la différence d'emplacement des places réservées aux libres. La composition de public est plus délicate à reconstituer car les témoignages primaires sur les spectacles s'intéressent peu à cet aspect. On peut toutefois avancer quelques conclusions assez générales. Les militaires ont une place importante. Ils ont non seulement des bancs réservés, aux premiers rangs pour les officiers à Port-au-Prince (voir plan de Mesplès), mais ils bénéficient de prix de groupe : 600 f par bataillon (soit environ 650 hommes) au Cap38, 300 f "pour les corps en garnison" sans précision à Port-au-Prince39. D'autre part Moreau mentionne la part importante prise par les troupes dans les recettes du spectacle du Cap lors de leur stationnement pendant la guerre d'indépendance américaine40. En 1782, les régiments suivants stationnent au Cap : Gâtinois (1 300 h.),Enghien (1 200 h.),Agenois (1 500 h.), Touraine (1 700 h.), Cambrésis (1 200 h.) soit un peu moins de 7 000 hommes 41 . On a vu que l'augmentation des recettes est de l'ordre de 30 % (voir chap. 52), ce qui est considérable, surtout si l'on note qu'il y a des tarifs réduits pour les militaires, et donne la mesure de leur proportion élevée dans le public. 35 CAOM : FM, Col. F3160, fol. 11. 36 Moreau de Saint-Méry M. L. E. op. cit.p.362. Hilliard d' Auberteuil indique qu'en 1775 les actionnaires du spectacle ont "invité les Négres et Négresses libres ou esclaves". li est le seul à parler des esclaves spectateurs, et son témoignage paraît suspect car il ne fait aucune allusion à un procès (Considération sur l'état prése11t de ln colonie Jra11çaise de Sni11t-D0millg11e. Paris; Grangé, t. 2, p. 111). 37 Moreau de Saint-Méry M. L. E. op. cit.p. 1100. 38 CAOM: Fond Col., F3160, fol. 17-18.

39 Moreau de Saint-Méry M. L. E. op. cit. p. 987. 40 Moreau de Saint-Méry M. L. E. Descriptio11 ... p. 257. 41 CAOM: Correspondance à l'arrivée, C9A, 1782.

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