Musique coloniale et société à Saint-Domingue dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Vol.1

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"Ses talens (sic) et son zèle, auxquels ont accorde encore chaque jour de justes applaudissements.. "

Le rédacteur des Affiches américaines est plus détaillé encore ; dans l'une de ses critiques il commence par évoquer les retraites de Brisard et de Larive pour conclure par la Guimard dont la prestation à Bordeaux a déçu. Il en vient à justifier le rôle de la critique utile à l'amélioration du jeu des acteurs, et finit en s'intéressant à Minette "De cette censure on voit naître les progrès de l'art, de cet art où il est plus difficile de se distinguer

qu'on ne le croit ordinairement; car on trouve partout des Comédiens et rarement des Acteurs. Ce serait ici le lieu de développer la valeur de ces deux mots : mais cette définition nous conduirait trop loin; nous nous contenterons de dire aujourd'hui que si nous nous acquittions del'obligation où nous sommes de rendre compte de ce qui se passe au Théâtre qui est sous nos yeux, nous aurions d'abord à applaudir à l'âme, à l'intelligence, à la finesse, à la gentillesse, au maintien aisé et décent d'une jeune Actrice Créole, qui serait goûtée même à Paris, dans plusieurs rôles des pièces à ariettes ; nous l'inviterions cependant à moins déclamer le dialogue, à se moins fatiguer pour prononcer purement, à se mieux costumer quelquefois dans les rôles de Paysannes; à se moins surcharger de gaze, de rubans et de taffetas; car, non seulement ces parures déplacées et ridiculement bouffantes font contraste avec les rôles de villageoises, mais elle la font encore paraître comme un joli petit buste sur un énorme piédestaJ."85

Même un visiteur au courant des dernières nouveautés parisiennes semble apprécier la qualité des spectacles et on peut se demander si ce n'est pas de Minette que parle Laujon, en 1784-85, dans ce passage déjà cité et révélateur des préjugés de l'époque, car il n'y a pas eu d'autre artiste "jaune" (métis) sur . les planches de Port-au-Prince à cette . date: "Les acteurs me faisaient beaucoup rire. Une maîtresse était jaune, un amant était blanc, et quelques Noirs jouaient les rôles de courtisans. ( ... ) Avec cela j'entendis plusieurs voix qui me surprirent, et je ne trouvais pas que la pièce fut mal représentée."86

Comment la carrière de Minette fut-elle possible dans une société aussi raciste et hostile que celle de Saint-Domingue? Rappelons qu'outre la marginalisation des mésalliés (les Blancs ayant épousé des femmes de couleur), des interdictions de voyages, de noms, d'habits ou de certains métiers frappaient les libres de couleur87. Certes, beaucoup de ces interdictions étaient contournées mais l'essentiel de l'idéologie raciale était maintenu avec la violence caractéristique de Saint-Domingue ; la "ligne de couleur et la macule servile" sont demeurées jusqu'au dernier temps de la colonie le credo des Blancs. Le spectacle étant un des rares lieux de sociabilité, si ce n'est le principal, il est difficile de croire que la 85 BnF, AA, PaP, 25/6/85. 86 LaujonA.deop. cil. pp. 164-165. 87 Lebeau A. De la co11ditio11 des gens de couleur libres sous I'Ancie11 Régime. Poitiers ; Masson, 1903, pp. 106-108. et D. Rogers op. cit. ""De la condition juridique des ge.ns de couleur" p. 230 et sqq.

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