Musique coloniale et société à Saint-Domingue dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Vol.1

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12 Les travaux antérieurs

121 Les spectacles dans l'historiographie Il est peu d'auteurs de travaux généraux sur l'histoire d'Haïti ou sur Saint­ 1 r 1

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Domingue qui n'aient parlé des spectacles. Mais cette mention, de ce qui constitue jusqu'ici la preuve la plus tangible du goCtt de luxe dominguois, n'est jamais neutre sauf dans les tous derniers travaux connus sur cette période. Le premier auteur de référence est bien entendu Moreau de Saint-Méry lui-même dont la Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de

l'isle de Saint-Domingue1, publiée pour la première fois pendant la Révolution haïtienne, comporte des pages maintes fois citées sur les villes de Saint-Domingue. Les descriptions des spectacles, en particulier ceux du Cap et de Port-au-Prince, tiennent une longue place dans ces tableaux exceptionnels des villes coloniales : plus de dix pages pour Je Cap, une demi-douzaine pour Port-au-Prince dans l'édition de 1984. Jusqu'aux travaux de Corvington sur Port-au-Prince 2, il n'y a sans doute pas d'autres présentations de villes dans le contexte de la grande entreprise agricole qu'était, en réalité, Saint-Domingue. Le point de vue de Moreau est clair : ces villes, malgré leur population réduite par rapport à l'ensemble de la population de la colonie (même si l'on s'en tient à la population totale des seuls libres), sont, par leur développement, une preuve de la civilisation3 apportée par les colons, et les spectacles en constituent une des manifestations les plus remarquables. Madiou, dont l'œuvre ouvre la longue liste des historiens haïtiens, tient également les spectacles pour hautement symboliques de l'activité des européens. Aussi est-il particulièrement laconique "L'on trouvait sur les habitations des plaines et des mornes tout le luxe et les plaisirs de l'Europe: musiciens, chanteurs, danseurs, acteurs, ballets, comédies, tragédies."4

Cette mention est l'exacte inversion de la description de Moreau, non seulement par sa taille mais aussi parce qu'elle est faite dans une perspective opposée. La richesse 1 Paris; Société Française d'Histoire d'Outre-Mer, 1984, 3 vol. (1ère éd. Philadelphie 1797). Je considère ici Moreau comme une source secondaire c'est-à-dire dans son rapport subjectif avec l'objet de l'étude. Le détail des informations apportées n'est pas utile ici, seul compte son jugement global positif. Pour le détail de son texte, en tant que source primaire cette fois, voir infra chapitre 13. 2 Port-au-Prince au cours des a11s, ln ville coloniale 1743-1789, Port au Prince; Deschamps, 1975, 213 p. 3 Le terme même de civilisation est, dans le sens utilisé ici, à peu près contemporain du travail de Moreau de Saint-Méry. Selon C. Liauzu il apparaît d'abord chez Mirabeau et d'Holbach (autour de 1756-66) et se diffuse aussitôt avec Condorcet, Diderot ou Raynal. Voir sur ce sujet Liauzu C. Race et civilisation, l'autre dans ln cullltre occidentale. A11tltologie critique, Paris; Syros, 1992, pp. 19-20. 4 Madiou T. Histoire d'Haïti (1492-1799) Port-au-Prince; Deschamps ,1989 (1ère ed. 1847), t. 1, p. 39.

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