Musique coloniale et société à Saint-Domingue dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Vol.1

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Des expressions comme "Bonda li c'est paqué zo" (son derrière c'est un paquet d'os), "tété li c'est blag'cochon" (ses seins sont comme ceux d'un cochon), voire "moulin moin tini canale/li pa lé manqué d'yo" (mon moulin a un canal, il ne manque pas d'eau) tranche nettement sur la partie plus sentimentale du début. Une observation analogue peut être faite sur la deuxième chanson créole conservée (sur la romance de Nina). Une comparaison entre l'original et la version créole est éclairante. Quand cher zami moins rivé moins va faire li tout plein caresse ah plaisir la nous va gouter c'est plaisir qui douré sans cesse mais toujours tandé hélas hélas cher zami moins pas vlé rivé20

Quand le bien aimé reviendra Prés de sa languissante amie Le printemps alors renaîtra L'herbe sera toujours fleurie Mais je regarde Hélas hélas Le bien aimé ne revient pas

On voit Je texte créole abandonner les métaphores fleuries pour adopter un ton plus direct. Cette chanson et le recueil de Lavignolle témoignent de la popularité des ariettes d'opéras-comiques et confirme qu'ici aussi ce répertoire est devenu en peu de temps un répertoire populaire prêt à alimenter le fond toujours vivant des timbres à la mode. La moitié du cahier de Lavignolle est composé d'ariettes. Le deuxième groupe comporte les chansons visant nommément certains (ou certaines) comme dans la chanson sur l'air de la Belle Bourbonnaise, air qui a déjà servi en France au milieu du siècle pour ridiculiser la Du Barry21. La "chanson faitte au Cap français'' appartient au même registre et témoigne de l'ambiance prévisible existant dans une ville à la population réduite où tout se sait. Plus intéressante, en revanche, la "chanson pour la mulâtresse du Cap" est caractéristique de la chanson-chronique qui commente ici l'ordonnance sur les tenues des Libres de couleur 22. Par ailleurs on voit apparaître Zabeau (Bellanton) que nous rencontrerons à propos de Fontaine au Cap (voir chap. 52). Autre chanson à caractère historique Quand Biron voulut danser est un témoignage intéressant de la verve de Clément qui transforme Biron en anglais et convertit la chanson insolente 23 pour le pouvoir en chef-d'œuvre de flatterie. Dernière chanson à mi-chemin entre la chanson idéologique et la chanson satirique, la chanson de la Fédération est révélatrice des tensions violentes entre Blancs et libres, la chanson ici n'est plus simple divertissement ou chronique, elle se transforme peu à peu en chant de combat. 20 Quand mon cher ami arrivera/Je vais lui faire tout plein de caresses/Quel plaisir nous allons avoir/Un plaisir qui durera toujours/ !'..fais écoutez encore/Hélàs, hélàs/Mon cher ami ne veut pas revenir (fr. M. C. H azaël-Massieux). 21 Barbier P. Vemi!lat F. Histoire de France par les chansons 3. Du Jansénisme nu Siècle des Lumiêres Paris ; Gallimard, 1957, p. 163. 22 Par ordonnance du 9/2/1779 il est défendu aux Libres de s'assimiler aux Blancs dans la manière de se vêtir, à cause de "l'arrogance qui l'accompagne quelquefois" en contradiction avec "la simplicité, la décence et le respect, apanage essentiel de leur état''. 23 Davenson H. Le livre des chansons ou introduction à la chanson populaire française Neuchâtel ; La Baconnière, 1977, p. 557.

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