Les Asselin / Le Vauclin. Divers aspects

Page 233

144 Quelle catastrophe dans notre vie à tous, mais particulièrement dans celle de tes parents et dans la mienne. Ton père vous a écrit hier d'ici à Marcel et à toi. Il vous a, je pense, parlé de sa traversée, qui, m'a-t'il dit , a été bonne. José a pu heureusement aller à sa rencontre à St Nazaire et l'accompagner jusqu'à Paris. Ton père a entrepris aussitôt des démarches pour m'y faire venir. Elles n'ont abouti qu'après pas mal de jours et je ne suis arrivé que dimanche après midi. J'ai trouvé ton père, un peu vieilli, ,alourdi surtout. Il se déplace difficilement et ne peut guère le faire qu'en voiture. Nous avons passé deux jours ensemble et hier soir, José et moi, nous avons été le mettre dans le train de Nice, où je vais aller le rejoindre. J'ai obtenu , en effet , de prendre une fois ma permission de 20 jours. Je me mets en route ce soir. Il me restera donc 16 jours à passer là-bas avec mes chéris que j'ai tellement envie de revoir. Je ne puis te dire quelle souffrance c'est pour moi d'être loin d'eux, plus que jamais maintenant, où ils sont tout ce qui me reste de ma Lily, et où j'ai à accomplir seul la tâche de les élever. Je considère en effet , qu'on peut m'aider, mais que personne ne peut me remplacer auprès d'eux. Et je t'assure que je ne cesse de me préoccuper de cette question. Qu'il me tarde d'être en mesure de rejoindre mes petits. Il semble que ce ne sera cependant pas avant bien des semaines. Je te renvoie à ma lettre à Marcel pour les détails. Cette attente de la libération est d'autant plus pénible que depuis l'armistice, nous n'avons plus rien à faire. Cette oisiveté laisse à toutes les tristes pensées qui occupent actuellement mon esprit, la liberté de se développer. Quand j'ai quitté mon Q.G, il était en route pour l'Alsace, où j'aurai, je pense, à le rejoindre. Aurai-je à mon retour une vie un peu plus occupée qu'avant ma permission; je le souhaiterais, tant cette vie à ne rien faire me pèse. Ta pauvre mère est toujours écrasée par notre malheur; L'arrivée de ton père lui fera, je le souhaite, un peu de bien. Les enfants la distraient dans une certaine mesure, mais elle ne cesse guère de penser à notre chère Lily et elle ne trouve malheureusement pas dans la religion, le même secours que moi: elle a presque un sentiment de révolte contre Dieu, qui nous a frappés, et elle n'arrive pas à se résigner à l'inéluctable. Quitter Nice lui sera un nouveau chagrin, tant elle voudrait toujours rester dans ces lieux où Lily a vécu. C'est un sentiment que je comprends du reste, mais je m'efforce de ne pas trop m'attacher à ce qui rappelle matériellement notre chère disparue. Ce qui compte le plus en elle, c'est son âme et son âme n'est pas morte. Elle n'a fait que changer de séjour. Un jour, je la retrouverai, si je sais le mériter, et c'est dans cet espoir que je vis. Je t'envoie pour Annie, toi et les enfants mes voeux très affectueux pour 1919. L'année qui finit, qui aurait pu en nous apportant la victoire, m'apporter une si grande joie par la perspective d'une prochaine réunion avec celle que j'aimais tant, est en réalité la plus calamiteuse de toute ma vie. Que ce malheur qui m'a frappé vous garantisse au moins vous autres, de la souffrance. Je souhaite que la nouvelle année vous réserve des joies de toute nature. Je vous embrasse tous très affectueusement.

A.


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.